Electricité : au Sénat, Julien Teddé revient sur l’évolution des prix
Julien Teddé, Directeur général d’Opéra Energie, est intervenu auprès de la Commission d’enquête sénatoriale sur « la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 ».
Retour sur ses propos.
Le Sénat lance une commission d’enquête sur les prix de l’électricité
Après l’Assemblée nationale qui a lancé une enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, le Sénat s’empare à son tour du sujet. Il a ouvert en janvier une commission qui « centrera ses travaux sur le présent et l’avenir du système électrique. »
« La crise des prix des énergies, le développement des usages de l’électricité, les défis de la décarbonation et de la transition énergétique, la souveraineté industrielle de la France sont autant d’éléments qui doivent conduire à s’assurer de la pertinence de nos choix de politique énergétique, en particulier en matière d’électricité. » explique un communiqué de presse.
Mardi 13 février 2024, la commission d’enquête a ainsi organisé une table ronde sur les évolutions du prix de l’électricité, où Julien Teddé a été convié.
Lors de son intervention, Julien Teddé est revenu sur la formation des prix de gros de l’électricité, sujet majeur, puisque « ce sont sur ces prix que sont assis la majorité des contrats de fourniture des consommateurs. »
Comment et pourquoi ont évolué les prix de l’électricité depuis 20 ans ?
En préambule, Julien Teddé a rappelé l’injonction majeure et contradictoire qui porte sur les prix de gros. Ils doivent en effet être suffisamment bas pour préserver le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Mais ils doivent également être suffisamment élevés pour permettre les investissements dans le système électrique !
Ceci posé, Julien Teddé explique que l’évolution des prix de gros peut se découper en quatre phases.
Le 3ème choc pétrolier et ses répercussions sur le prix de l’électricité
La première phase se déroule de 2000 à 2008. Cela correspond à la création des bourses de l’électricité, les prix de gros de l’électricité tournent alors aux alentours de 20 à 25 €/MWh. Le niveau bas de ces prix s’explique par un réseau en surcapacité, notamment du fait des nombreuses centrales thermiques.
Puis, peu à peu, on commence à fermer ces centrales. Les prix de gros de l’électricité commencent alors à monter, poussés également par la hausse des prix du gaz et du pétrole. Les prix du pétrole augmentent tant que les acteurs parlent de Big Oil, le baril atteint 150 $, certains craignent qu’il ne s’envole à 250 $ !
Les prix de l’électricité répercutent cette flambée, en juillet 2008, les prix de gros atteignent 90 €/MWh, du jamais vu !
« Beaucoup voit là un nouveau monde où l’électricité sera chère de façon durable » rappelle Julien Teddé.
La crise financière de 2008 fait chuter les prix de l’électricité
Puis le monde se retrouve confronté à une crise financière qui se transforme rapidement en crise économique. Nous sommes en 2008, l’activité industrielle chute, la consommation s’écroule, les prix de gros de l’électricité s’effondrent.
Nous entrons là dans une deuxième phase, pendant laquelle les prix de gros de l’électricité baisseront de manière continue jusqu’en 2016.
Il y a 3 raisons à cette dynamique baissière. La chute de la consommation d’une part. D’autre part, la révolution du gaz de schiste qui permet à l’Europe de bénéficier de gros volumes de charbon et de gaz à bas coût. « L’Europe peut ainsi produire massivement et pour pas cher de l’électricité carbonée » explique Julien Teddé.
« Enfin, de nouvelles capacités de production renouvelables sont venues s’ajouter, mais elles étaient subventionnées et donc non assises sur le marché ». Résultat, en janvier 2016, le prix de gros s’affiche à 25 €/MWh.
Une fois encore, les prédictions vont bon train, nombreux sont ceux à penser que cela va durer, que le monde est à l’orée de sa 3ème révolution industrielle, pour reprendre l’expression de Jeremy Rifkin, et que l’on va entrer dans une ère d’électricité abondante, décarbonée et à bas coût.
La crise énergétique n’est pas encore là, les prix grimpent déjà
Mais 2016 vient interrompre cette dynamique. Cela marque le début d’une troisième phase qui durera jusqu’en 2021.
Les prix de gros de l’électricité remontent sous l’effet, déjà, des premières incertitudes autour du parc nucléaire français.
Fin 2016, quasi 1/3 du parc nucléaire est ainsi à l’arrêt, suite aux demandes de l’ASN pour inspection. En parallèle, les prix du gaz et du carbone grimpent eux aussi.
Les prix de l’électricité augmentent avec régularité jusqu’en 2021, année durant laquelle le record historique de 2008 de 90 €/MWh est dépassé. Et en 2022, la crise énergétique bat son plein. En France, on dépasse 1000 €/MWh au mois d’août !
« Cette crise énergétique est d’abord une crise du gaz », souligne Julien Teddé. « Après le Covid, la consommation de gaz repart en flèche, mais l’offre ne suit pas. Les producteurs de gaz de schiste ont été particulièrement bousculés par la crise sanitaire et n’arrivent pas à retrouver leurs niveaux de production pré-Covid. Les prix du gaz flambent dans le monde entier. En 2022, cette crise mondiale du gaz se transforme en crise européenne, avec l’invasion de l’Ukraine et la fermeture du gazoduc de Nord Stream. La crise se durcit encore avec la situation du parc nucléaire français, qui sous-produit 100 TWh en 2022. »
Julien Teddé rappelle que pour produire 100 TWh d’électricité avec des centrales à gaz, il faut entre 200 et 300 TWh de gaz. Pour mémoire, la capacité de transport de Nord Stream est d’environ 600 TWh/an. La sous-production d’EDF en 2022 équivaut ainsi à une petite moitié de la capacité de Nord Stream. Les lacunes de la production nucléaire française en 2022 ont donc été un élément majeur de la crise énergétique à l’échelle européenne.
Et à l’avenir, comment vont évoluer les prix de l’électricité ?
Aujourd’hui, l’Europe commence à sortir de cette crise énergétique. C’est le début d’une quatrième phase.
En 2023, les prix de gros de l’électricité ont chuté, tirés notamment par une baisse sans précédent de la consommation. La consommation d’électricité en France en 2023 a reculé de 7 %. Celle de gaz s’est repliée de 20 %.
Cette crise de l’énergie a cassé un dogme explique Julien Teddé. « On avait tendance à estimer que la consommation d’électricité ne répondait pas ou peu au signal prix. Or, la crise a bien démontré une réaction au signal prix. Certains experts pensent même que cette baisse des prix va se poursuivre. Le risque est maintenant que les prix descendent trop bas et mettent en péril les investissements nécessaires à la transition ».
Après avoir ainsi dressé l’historique de l’évolution des prix de gros de l’électricité, Julien Teddé tient à rappeler les principaux paramètres à étudier si on veut essayer de les anticiper :
– la demande d’électricité va-t-elle augmenter ? « Notre transition énergétique et la bonne santé de l’économie française passeront nécessairement par une augmentation de la consommation d’électricité » insiste-t-il. Il rejoint en cela les propos de RTE tenus devant la commission, quelques jours auparavant.
– l’évolution des prix du gaz
– l’évolution des prix du carbone
– le rythme de déploiement des EnR
– la disponibilité du parc nucléaire
« En 2009, notre parc de production nucléaire avait produit à 78 % de sa capacité théorique maximale. Les pouvoirs publics de l’époque avaient fait de la disponibilité de notre parc nucléaire un enjeu de souveraineté nationale. Ils avaient alors demandé à EDF de porter la production à 85 % en 3 ans. En 2021, le parc tournait aux alentours de 73 % de sa capacité, et personne ne s’en est émue. A mon sens, si l’on veut avoir en France, dans les années à venir, accès à de l’électricité bas carbone et bon marché, l’une des clés est de refaire de la performance de notre parc nucléaire un enjeu national ».
Un sentiment que les sénateurs semblent partager.
Zoom sur le lien entre le prix du carbone et les prix de gros de l’électricité
Les producteurs d’électricité à base de gaz et de charbon sont des industriels soumis au mécanisme de quotas de CO2, autrement dit ils payent pour compenser leurs émissions carbone. Cela fait partie de leurs charges variables. On estime que quand la tonne de carbone prend 1 euro, le prix du MWh prend 30 centimes. Aujourd’hui, en France, 30 % du prix de gros peut s’expliquer par le prix du CO2.