Pourquoi le gaz de schiste aux USA fait baisser le prix de l’électricité en France ?
Vous l’avez certainement déjà entendu : les prix de gros de l’électricité dépendent des prix du pétrole, eux-mêmes liés aux prix du gaz et du charbon… C’est vrai ! Cet article vous expliquera pourquoi. On comprendra aussi comment le développement du gaz de schiste aux USA peut impacter le prix de l’électricité en France.
Plaçons-nous à l’échelle de la France. Comme tout prix, ceux du marché de gros de l’électricité sont le résultat de la rencontre entre l’offre et la demande. Dans ce cas, l’offre est la puissance électrique disponible provenant des centrales de production, et la demande est la consommation d’électricité.
Classement de l’offre : les moyens de production
Examinons tout d’abord l’offre. Pour cela, il faut lister tous les moyens de production disponibles en France. Il s’agit ensuite de les classer, afin de déterminer quelle centrale doit être démarrée en priorité. Pour cela, un seul critère : le coût de production marginal. Il s’agit, pour une centrale en fonctionnement, du coût lié à la production d’un seul MWh supplémentaire. Essentiellement le coût du combustible associé, donc.
Mettons-nous à la place d’un exploitant de centrale électrique. A chaque instant, la seule question qu’il doit se poser est : dois-je allumer ou éteindre ma centrale ? Pour cela, il compare le prix de gros de l’électricité d’une heure donné (le prix Spot) avec son prix marginal de production. Si produire un MWh supplémentaire lui rapporte davantage que de le produire, il démarre la centrale. Sinon, il ne la démarre pas. Bien sûr, en pratique, le raisonnement est plus complexe, et prend en compte les contraintes techniques et économiques liés au redémarrage des centrales. On n’éteint pas une centrale nucléaire si facilement. La théorie reste pertinente : la décision du démarrage (ou non) d’une centrale dépend essentiellement des coûts marginaux. Ainsi, peu importe les coûts fixes (construction, RH…) : la centrale a intérêt à produire le plus possible, dès que le gain dépasse son coût marginal.
Le schéma ci-dessous montre une vision simplifiée des moyens de production classés par coût de production marginal croissant : en abscisse, la puissance disponible et en ordonnée le coût marginal.
Quelques remarques :
- le coût marginal des éoliennes et barrages hydrauliques « au fil de l’eau » (comme sur le Rhône) est quasiment nul ;
- Le coût marginal des barrages hydrauliques à retenue d’eau est lui aussi faible, mais, un tel barrage dispose d’un « stock » d’heures pendant lesquelles il peut fonctionner. Il fonctionne donc en cherchant à optimiser son revenu, en utilisant son stock au moment où l’électricité est la plus chère. On affecte donc à ces barrages des coûts marginaux de production artificiellement élevés 1
- Le cas de l’effacement (arrêt ou report de consommation) est similaire à celui des barrages à retenue : un tel client dispose d’un stock d’heures effaçables…
- Les « CCGT » sont les centrales à gaz (« Cycle Combiné Gaz Turbine »).
Pour chaque heure, la demande en face de l’offre
Pour une heure donnée, on considère une consommation d’électricité en France. Les centrales vont alors fonctionner par coût marginal de production croissant, afin d’atteindre le niveau de consommation nécessaire, comme indiqué dans le graphique ci-dessous.
Dans ce cas, ce sont les centrales à gaz (CCGT : Cycle Combiné Gaz Turbine) qui sont « marginales ». C’est donc le coût marginal de fonctionnement d’une centrale à gaz qui fixe le prix de gros de l’électricité. Dans notre exemple, les imports, barrages hydro etc n’ont pas d’intérêt : ils coûtent plus cher que ce que le marché est prêt à payer. A l’inverse, les centrales à charbon, nucléaire etc vendent à prix de marché, supérieur à leur coût marginal de production. Ces centrales bénéficient ainsi d’une « rente infra marginale ». A savoir : pour cette heure donnée, leur revenu dépasse leur coût de fonctionnement. C’est donc la « rente infra marginale » qui sert à rembourser leurs coûts fixes !
Le résultat : une journée type de consommation en France
Le graphique ci-dessous montre schématiquement les moyens de production d’électricité utilisés pour satisfaire la consommation en France d’une journée d’hiver.
On distingue trois type de moyens de production :
- Base : qui fonctionne, en théorie, toute l’année. Nucléaire, Eoliennes et barrages hydrauliques au fil de l’eau. Coût marginal de production faible.
- Semi Base (ou semi pointe) : qui fonctionne plutôt en journée, l’hiver. Centrales à gaz et au charbon. Coût marginal de production moyen.
- Pointe (voire super pointe) : qui fonctionne lors de pics de consommation, en hiver. Barrages hydrauliques, centrales au fioul, effacement de consommation… Coût marginal de production élevé, ou bien « stock » à gérer.
La limite du système : la « missing money »
Nous l’avons souligné, cette explication est théorique ; elle permet néanmoins de comprendre un des problèmes majeurs du système électrique : la « missing money » (ou « argent qui manque »). En effet, on comprend aisément qu’une centrale de pointe (fonctionnant au fioul par exemple), qui ne tourne que quelques heures dans l’année, aura beaucoup de mal à rembourser ses coûts fixes. Or, une telle centrale est nécessaire, puisqu’elle permet d’éviter un black out, dans le cas, par exemple, d’un grand froid sans vent…
Dès lors, que peut-on faire pour éviter de tels black outs ? C’est un des enjeux du système électrique actuel. De nombreuses pistes existent, qui feront l’objet d’articles sur notre blog : effacement de consommation, smart grids, marché de capacité…
Une conséquence géopolitique inattendue : le gaz de schiste américain fait-il baisser le prix de l’électricité en Europe ?
Ce mécanisme de formation des prix de l’électricité sur les marché de gros permet d’expliquer des situations étonnantes au plan international. Par exemple : le boom du gaz de schiste a fait chuter sensiblement les prix du gaz aux Etats-Unis depuis quelques années. Conséquence : l’usage du gaz s’est fortement développé outre-Atlantique, au dépend principalement du charbon. Le surplus de charbon est alors exporté, en particulier vers l’Europe.
Logiquement, le prix du charbon baisse en Europe depuis quelques années.
Application logique du « merit order » : les centrales à charbon sont dorénavant plus compétitives que les centrales à gaz (on dit qu’elles leur sont passées devant dans le « merit order »…). Et le prix de l’électricité sur les marchés de gros baisse…