Les cimenteries à l’heure de la décarbonation
Entre le 9 et le 12 décembre dernier, une coalition de plus de 150 organisations nationales écologistes et sociales ainsi que des regroupements paysans manifestaient partout en France contre « l’empire du béton » et pour « d’autres manières de construire et d’habiter le monde ». Si le ciment cristallise autant les colères c’est parce qu’il est l’un des principaux émetteurs de CO2 dans l’industrie. La décarbonation du ciment est essentielle pour réaliser la transition énergétique.
Entre 7% et 8% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde
Selon la Fédération française du bâtiment, 190mᶾ de béton sont utilisés chaque seconde dans le monde, soit 6 milliards de mᶾ par an. Ces chiffres en font la substance la plus consommée après l’eau, devant le pétrole et le matériau manufacturé le plus exploité.
Or, fabriquer du ciment génère beaucoup de CO2. Tout d’abord, par la cuisson du calcaire et de l’argile qui s’effectue dans des fours à 1400°C et alimentés par des combustibles. Ensuite, parce que cette cuisson entraîne une réaction chimique fortement émettrice de CO2. Aujourd’hui, les émissions de gaz à effet de serre provenant de la fabrication de ciment représentent entre 7% et 8% des émissions totales, sur la planète.
Lorsque l’on prend en compte le fait que les émissions de gaz dans le ciment ont doublé depuis 2003 et que la production augmente à cause de la demande accrue de la Chine et de l’Inde, on comprend l’impératif de décarbonation.
Les ambitions françaises
En France, la production de ciment représente 12,5% des émissions de gaz à effet de serre dans l’industrie. Parmi les 50 sites industriels les plus polluants, 21 sont des cimenteries. Au sein même du domaine, le déséquilibre se poursuit : 5 entreprises possèdent 95% du marché. Si les entreprises françaises du ciment ont réduit de 25% leurs émissions depuis 1990, elles stagnent depuis 2015.
En novembre 2023, la signature des « contrats de transition » entre le gouvernement et les industriels prévoyait la réduction de 45% des émissions de CO2 d’ici 2030 (-50% en 2050). Le groupe LaforgeHolcim, l’un des leaders du secteur, affiche des ambitions plus grandes : – 69% d’émissions en 2030 et – 95% en 2050, dans le scénario le plus favorable. De son côté, l’Etat assurera un soutien financier à ce projet couteux, bien qu’aucun montant n’ait été évoqué, jusqu’à présent. Dans, les colonnes du Monde, Eric Bergé, spécialiste de l’industrie au Shift Projet, se réjouit de ces initiatives : « Les cimentiers vont plus innover dans les 3 ans qui viennent que durant les 30 dernières années ».
La décarbonation des cimenteries, en plus d’entrer dans le projet de transition écologique du pays pourrait aussi représenter une aubaine de marché. Le ciment décarboné étant minoritaire sur le marché, la demande est considérablement supérieure à l’offre (elle pourrait ne représenter que 50% de la demande en 2030, en France). Ainsi, les producteurs pionniers auront le luxe de fixer leurs prix pendant plusieurs années. Cette situation leur permettra d’amortir quelque peu les coûts de l’investissement et leur accordera le temps nécessaire pour monter en compétence sur le plan technologique. A terme, c’est un avantage compétitif de longue durée que s’offriraient les pionniers.
Les outils de la décarbonation du ciment
1. La réglementation
En vigueur depuis 2022, la réglementation des bâtiments neufs RE 2020 incite l’utilisation de matériaux biosourcés, concourant à la réduction de l’empreinte carbone des nouvelles constructions.
2. Mécanismes d’ajustement carbone aux frontières de l’UE
A savoir, l’abandon des quotas carbone accordés aux industriels depuis les décennies. En contrepartie, l’UE les aides financièrement à assurer leur décarbonation.
3. recyclage, biomasse, capture de carbone
La biomasse combustible, la capture et le stockage de carbone sont des solutions de décarbonation à l’étude. Néanmoins, Eric Berger tempère les ardeurs : « Les technologies de capture semblent être la baguette magique mais attention, elles sont encore balbutiantes et posent la question des aires de stockage. Surtout, elles demandent des capacités de fourniture d’énergie électrique et des investissements financiers colossaux ».
En septembre dernier, LaforgeHolcim a construit une unité sur la carrière de Saint-Laurent-de-Mure pour recycler les gravats de construction permettant de construire du béton bas carbone.