Terres rares : la dépendance européenne à la Chine de plus en plus questionnée
Le 30 mars dernier, l’Union Européenne a décidé d’accélérer son calendrier en matière de développement des EnR. Les 27 ambitionnent de porter à 42,5 % la part des EnR dans son mix énergétique, soit quasiment le double d’aujourd’hui. « Les renouvelables contribueront à notre souveraineté énergétique en réduisant les importations fossiles » tout en réduisant les factures des consommateurs, explique Frans Timmermans, vice-président de la Commission. Mais l’Europe atteindra-t-elle son objectif ?
La mainmise chinoise sur les terres rares pourrait freiner les ambitions vertes européennes
Il est nécessaire que l’Union Européenne décentralise son approvisionnement dans les énergies renouvelables, a alerté mardi 9 mai Francesco La Camera, le chef de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), ajoutant que « la situation est préoccupante ».
Des paroles qui font écho aux déclarations de nombreux acteurs du secteur, politiques, industriels, médias qui, depuis plusieurs mois, s’inquiètent de la domination chinoise en la matière.
En mars 2022, dans le cadre de la conférence interparlementaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, le journaliste d’investigation Guillaume Pitron a ainsi rappelé aux 100 parlementaires européens présents que le sujet des métaux rares est « un enjeu écologique, économique et géopolitique » majeur pour les « trente prochaines années. » Ne serait-ce que pour les batteries des voitures électriques et le stockage énergétique, l’Europe aura besoin de 18 fois plus de lithium d’ici 2030 et jusqu’à 60 fois plus d’ici 2050.
« La production de nos pales d’éoliennes, de nos batteries électriques, de nos électrolyseurs d’hydrogène ou de nos équipements numériques consomme un grand nombre de métaux (cuivre, aluminium, lithium, cobalt, nickel, terres rares notamment). Pour preuve, on dénombre 15 g de terres rares dans un smartphone, 5 kg dans une batterie électrique ou 600 kg dans une éolienne en mer. Au total, plus de 60 éléments de la table de Mendeleïev sont indispensables à notre transition énergétique. » détaille encore, en juillet 2022, un rapport d’information de la commission des affaires économiques.
« Un monde bas carbone est un monde de métaux » résume Guillaume Pitron. Or, aujourd’hui c’est bel et bien Pékin qui gouverne ce monde des métaux : les 27 achètent à la Chine 98% de leurs métaux rares, indispensables pour de nombreuses technologies vertes. Pékin contrôle par ailleurs 60 % de la capacité mondiale de production de batteries, d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.
Du danger du monopole chinois sur les métaux critiques
« Tout en coupant les vannes du gaz russe pour électrifier massivement les usages, il faut veiller à ne pas créer de nouvelles dépendances aux métaux critiques, bien souvent importés de Chine » a souligné Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat.
Il faut dire que certains précédents font réfléchir. Surtout lorsque Pékin agite la menace d’embargo sur les terres rares, en réponse aux regains de tensions sino-américaines autour de Taiwan.
En 2010, la Chine avait par exemple privé le Japon de ses exportations de métaux rares, afin de faire libérer un capitaine de chalutier.
Les risques sur les ambitions environnementales et de souveraineté énergétiques de l’Europe semblent donc avérés.
Au-delà, la prédominance de la Chine sur la production des métaux rares a d’indubitables conséquences sanitaires et écologiques. Interviewé par Capital en avril dernier, l’économiste George Nurdin l’explique : « Les terres rares ne sont pas si rares… mais leur extraction (et surtout leur traitement) est extrêmement dangereuse (produisant des déchets radioactifs) et hyper polluants… C’est la raison pour lesquels les Américains, Japonais et Européens ont décidé qu’il valait mieux que cela se fasse loin des yeux (forcément verts) de leur population et à bas coût, dans des conditions inhumaines, principalement en Mongolie intérieure ».
Quelles solutions pour l’indépendance européenne en matière de métaux rares ?
Francesco La Camera appelle à « développer des interconnexions sur les minerais, sur les industries vertes avec des pays en développement ». Pour lui, « C’est cela qui va permettre aux Européens d’atteindre leurs objectifs ».
L’Europe est au diapason, elle a d’ailleurs publié son Critical raw materials act, en mars dernier. Ce plan vise à protéger la souveraineté du continent dans sa quête de minerais nécessaires à la transition écologique et à la numérisation. Bruxelles ambitionne notamment « qu’au moins 10 % de l’extraction des besoins en métaux et 40 % de leur transformation soient assurés sur le sol européen en 2030 ».
D’ici 2030 toujours, pas plus de 65 % de la consommation annuelle européenne de chaque matière première stratégique, et ce à n’importe quel stade de transformation pertinent, ne devra provenir d’un seul pays tiers.
Quid de la France dans cette dynamique ? Le pays n’entend pas rester inactif.
Selon l’AFP, qui confirme une information exclusive des Echos en date du 10 mai, l’Hexagone s’apprête à se doter d’un fonds d’investissement de 2 milliards d’euros pour faciliter l’accès aux métaux critiques. Il sera abondé par l’Etat à hauteur de 500 millions d’euros, dans une « logique d’alliance public-privé« .
Pour Georges Nurdin, la France a d’ailleurs un rôle majeur à jouer. « De par sa ZEE, la seconde de la planète (quasiment exæquo avec celle des Etats-Unis), la France possède d’immenses ressources en terres rares. » détaillait-il à Capital.
Deux bémols cependant, et pas des moindres : l’accès à ces ressources, situées 4000 mètres sous le niveau de la mer, et les risques de pollution liés à leur exploitation.
Les dés sont lancés, mais les jeux sont loin d’être faits.