Audrey Juillac, présidente de la Fédération des producteurs agrivoltaïques nous présente cette nouvelle filière

Audrey Juillac, présidente de la Fédération des producteurs agrivoltaïques nous présente cette nouvelle filière, les stratégies mises en place pour la structurer, ainsi que l’intérêt pour les agriculteurs de l’adopter.

Opéra Energie : Quel est votre parcours ?

Audrey Juillac : Mes études de physique à Genève n’ont rien à voir avec mes activités actuelles qui résultent d’une quête de sens. Je trouvais absurde de travailler pour acheter des légumes. Autant les produire soi-même. C’est de cette réflexion simple qu’est partie l’idée d’acheter des terres. J’ai acquis mon exploitation en 2020. Le processus a été compliqué car c’était juste après le covid, une période où les prix ont explosé car beaucoup voulaient se mettre au vert. Aujourd’hui, je suis agricultrice dans le Lot-et-Garonne. J’ai un terrain de 5 hectares, dont un peu plus de 3 hectares en surface agricole utile. J’ai un hectare de forêt également. Je fais du maraîchage en bio sur à peu près 800 m², 300 m² de serre froide et le reste c’est du plein champ. Et je cultive des légumes de saison : courgettes, tomates, poivrons, en ce moment. Je vends uniquement en vente directe. J’ai tenté avec des distributeurs, mais cela s’avère compliqué. Il y a des contrats avec des obligations de résultats ce qui ne me convenait pas.

OE : C’est une reconversion très récente, donc.

AJ : Oui, même si j’avais de la famille dans l’élevage. Je les ai aidés, j’ai expérimenté la difficulté de l’élevage, ce qui m’a poussé à me tourner vers le maraîchage. J’aurais vraiment eu du mal à gérer autant d’animaux.

OE : Parlez-nous de la FFPA (Fédération Française des Producteurs Agrivoltaïques). Quand est-elle née ? Quelles sont ses missions ?

AJ : C’est une fédération qui a plus de 3 ans maintenant que je préside depuis novembre dernier. Quand on est agriculteur et qu’on a un développeur des projets agrivoltaïques au bout de son champ, avec un bail emphytéotique de 50 pages avec des termes abscons qui nous expose un projet dont on n’a jamais entendu parler, on ne sent perdue ; et je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule. Nous avons donc décidé de nous réunir à la fois pour nous entraider et pour lancer la filière car, à l’époque, il n’y avait aucun cadre législatif sur l’agrivoltaïsme. Au sein de la FFPA, nous avons des développeurs, des énergéticiens, des avocats, des cabinets d’audit. Quant au bureau, il est composé exclusivement d’agriculteurs, exploitants et porteurs de projets. Au conseil d’administration, nous sommes majoritaires pour conserver ce côté très agricole.

Concernant nos missions, nous avons participé à la rédaction de la loi APER du 10 mars 2023 et à ses décrets d’application. Nous sommes en lien constant avec le ministère de l’Agriculture, celui de l’Industrie, celui de la Transition énergétique quand il existait, ainsi que la Direction générale de l’énergie et du climat. Nous avons récemment travaillé avec l’Assemblée nationale sur la question du partage de la valeur et de la contractualisation – une commission parlementaire qui s’est arrêtée avec la dissolution. Voilà pour nos missions institutionnelles.

Sur nos missions de terrain, on accompagne les agriculteurs, du moment où naît l’envie chez eux d’installer des panneaux, jusqu’au moment où les centrales sont démantelées. On les aide à construire leurs projets agricoles, comprendre les processus, car l’instruction est longue. On peut être amené à intervenir en qualité d’experts lorsque surviennent des problèmes avec certains services comme la DDT, la DREA ou encore la DRAF. On essaie de faire en sorte que les projets sortent rapidement tout en étant les plus vertueux possible, parce que ce sont des projets dont les agriculteurs ont besoin aujourd’hui. On ne peut pas se permettre d’attendre 10 ans que peut-être un jour un projet ne sorte.

OE : L’agrivoltaïsme est un concept nouveau, que l’on entend de plus en plus. Pourriez-vous nous en donner une définition et en faire l’historique ?

AJ : L’agrivoltaïsme est né au Japon. Pour des raisons culturelles et religieuses, le Japon s’est interdit d’exploiter les nombreuses montagnes de son archipel. Conséquence : il a peu de place pour développer les énergies renouvelables. L’agrivoltaïsme est né d’une double volonté : trouver cet espace pour les EnR et rendre le monde agricole plus attractif. En France, le premier projet datait de 2020, à Verneuil, mais c’est vraiment en 2021-2022 que de multiples projets ont vu le jour. L’idée est de produire sur une même parcelle plusieurs formes d’énergies : alimentaire, solaire, électrique, en exploitant tout l’espace possible. On entend souvent : « Les agriculteurs devraient installer des panneaux sur le toit de leur hangar avant de les mettre dans leurs champs ». Deux problèmes dans cette affirmation. Le premier est que nous le faisons déjà. Second problème : ce n’est pas toujours évident. Dans mon cas, j’ai un grand hangar, mais la charpente ne saurait supporter le poids des panneaux. Je ne vais pas faire construire un second hangar, je n’en aurais pas l’utilité.

Comme je le disais, l’agrivoltaisme sert aussi à apporter de la lumière sur une profession dans laquelle il est dur d’être financièrement à l’aise. Il est ardu de vivre de sa production. Je ne me verse toujours pas de salaire, par exemple. Il faut donc diversifier ses productions. Nous sommes nombreux à avoir une activité en parallèle de notre exploitation, sans quoi nous ne pourrions pas soutenir les charges.

La production alimentaire sera toujours plus importante que la production d’énergie électrique. (…) on ne peut pas installer autant de panneaux qu’on veut.

OE : Comment l’agrivoltaïsme peut-il vous apporter des revenus supplémentaires ?

AJ : Quand on met des panneaux sur un terrain, il y a la location, déjà, parce que ce sont des terrains qui sont loués. Cette partie-là revient au propriétaire au titre de la location de son foncier. Ensuite, l’agriculteur qui travaille sous les panneaux entretient la parcelle. L’agriculteur est fondamental dans ce projet car dans l’agrivoltaïsme, il faut une production agricole significative et un revenu durable. Si ces critères ne sont pas remplis, la centrale est démantelée. La loi a sanctuarisé cet aspect et nous en sommes heureux.

L’agriculteur est donc rémunéré mais, on ne sait qualifier l’argent qui arrive dans ses poches, parce que si on le nomme, on le fiscalise. Je parle de revenu, mais c’est un abus de langage. Tous les ans, le 31 décembre, il y a un montant à l’hectare à l’année qui arrive sur le compte de l’agriculteur au titre de l’entretien de la parcelle.

OE : Vous parliez de cadre légal à l‘instant, dites-nous dans quelles mesures l’agrivoltaïsme est encadré légalement et si cela freine ou accélère son développement.

AJ : Nous avons participé à la construction de ce cadre, donc nous avons fait en sorte qu’il ne soit pas gênant. Il fallait un cadre suffisamment rigide pour éviter les « projets alibis » qui consistent à mettre deux ou trois moutons la première année, pour ensuite récolter l’argent tel un rentier. Avec le dispositif dont je parlais en amont, quand un agriculteur arrête d’exploiter, l’exploitant de la centrale a 18 mois pour trouver un autre agriculteur, faute de quoi, elle est démantelée. Donc c’est assez fort. Mais, dans le même temps, ledit cadre devait être assez souple pour permettre toutes formes d’agriculture. Par exemple, ne pas imposer des panneaux à deux mètres du sol parce que si cette règle peut convenir au maraîchage, elle ne serait pas adaptée à l’élevage. Il était donc important de laisser la liberté dans la loi pour que la technologie s’adapte à l’agriculture et non l’inverse.

OE : Quelles sont les mesures fortes du décret signer en 2023 ?

AJ : Le décret précise la loi sur des aspects techniques. Il précise qu’il ne pourra y avoir de baisse de rendement supérieure à 10% dans les projets agrivoltaïques. En d’autres termes, les panneaux ne doivent pas nuire à la production agricole. Le décret assure que la production alimentaire sera toujours plus importante que la production d’énergie électrique. C’est-à-dire qu’on ne peut pas installer autant de panneaux qu’on veut et qu’en tant que développeur on accepte de produire moins d’énergie sur ce genre de projets que sur des projets plus classiques dans le domaine, afin de ne pas gêner les plantes.

OE : Parlons chiffres : quelle est la part des projets agricoles dans les 200 000 installations photovoltaïques recensées en France (source : étude Enerplan janvier 2024) ?

AJ : Il n’y a pas de projet agrivoltaïque au sens de la loi – puisque les décrets viennent de sortir. En revanche, il y a un potentiel de développement si on suit la PPE. Les prévisions les plus optimistes parlent de 130 000 hectares soit 0,2% de la surface agricole utile, en France. C’est peu, mais cela permet quand même d’aider aux objectifs de la PPE en partant du principe que l’agrivoltaïsme ne sauvera ni l’agriculture ni la planète. Ce n’est pas le but. Le but, c’est d’être un outil supplémentaire ; c’est d’aider.

OE : Quand vous dites « aider », on pense à la question des revenus que vous avez abordée, est-ce que celle du climat entre tout de même dans l’équation ?

AJ : La loi stipule que l’agrivoltaïsme doit rendre des services à la parcelle. Le bien-être animal en fait partie. Quand on met des brebis qui agnèlent, elles vont sous les panneaux parce qu’il fait meilleur. Et les agneaux in fine, quand on les vend pour l’abattage, ils sont plus lourds que les agneaux qui n’ont pas bénéficié des panneaux. Il y a également la diminution des conséquences des grêles, puisque la grêle va tomber sur le panneau et pas sur ce qui est dessous. Si les panneaux sont orientés correctement, ils peuvent aussi casser les courantes de gel. Il y a également la répartition de l’eau. L’agrivoltaïsme va empêcher que l’eau ne tombe trop sur les feuilles et ainsi réduire les maladies cryptogamiques (avec des champignons). Enfin, la question de l’évapotranspiration est abordée grâce à l’agrivoltaïsme. Lorsqu’il fait trop chaud, au-delà de 35°C environ, les plantes ne produisent plus rien, se mettent en situation d’urgence et transpirent pour tenter de survivre. En mettant plus d’ombre, ça permet de limiter cette évapotranspiration.

Nous intervenons dans les lycées, les chambres d’agriculture, pour faire connaître la filière. C’est fondamental.

OE : Existe-t-il des incitations des pouvoirs publics pour permettre le développement de la filière ?

AJ : Pas à ma connaissance.

OE : Cet aspect fait-il partie des revendications éventuelles de la FFPA ?

AJ : Pour l’heure, la filière est en construction. Nous essayons de comprendre comment faire de l’agrivoltaïsme avant de demander l’aide de l’Etat. Il existe des dispositifs, néanmoins. Je pense aux appels d’offre de la CRE pour financer des projets. Prenons un cas fictif : si on lance un projet agrivoltaïque et qu’on sort un électron à 100 € le mégawatt à cause des coûts de production alors que le marché est à 70 €, disons, personne ne va nous acheter notre électricité. La CRE va compenser cette différence. Ces dispositifs existent déjà, comme ils existent sur les panneaux solaires sur toiture, par exemple.

OE : L’agrivoltaïsme en est à ses balbutiements en France. Qu’en est-il de nos voisins européens ?

AJ : La France est en tête de file en Europe. On est les premiers à s’être dotés d’un cadre législatif aussi complet. Les autres pays ne l’appréhendent pas de la même manière. L’Allemagne raisonne en Landers comme l’Espagne fonctionne en autonomies. Dans les deux pays, on se réfère au pouvoir central mais avec une forte liberté à l’échelle locale. Cette méthode provoque des inégalités selon les régions, ce qui n’est pas le cas en France. La Suisse aussi réfléchit beaucoup à l’agrivoltaïsme.

OE : Comment incitez-vous les agriculteurs à se tourner davantage vers l’agrivoltaïsme ?

AJ : L’emploi du temps des agriculteurs est bien trop chargé pour permettre à ces-derniers de s’informer par eux-mêmes, sur ce qu’est l’agrivoltaïsme. Donc notre premier travail est l’information et la pédagogie. Nous intervenons dans les lycées, les chambres d’agriculture, pour faire connaître la filière. C’est fondamental. Nous participons à Innov-Agri, en septembre ; nous sommes partenaires du Solar Plaza et nous organisons, tous les ans, les assises de l’agrivoltaïsme, un événement gratuit où tout le monde est le bienvenu. Nous assurons également des tables rondes avec des institutionnels, que nous essayons de démocratiser un maximum afin que les agriculteurs puissent s’en emparer comme d’un outil.

OE : Un dernier mot sur le monopole chinois de la production de panneaux photovoltaïque : comment cela impact-t-il votre travail ?

AJ : La Chine est une usine et lorsqu’il y a un marché elle y va. Si elle est suffisamment concurrentielle, c’est à elle que l’on fait confiance. En France, pour le moment, nous ne sommes pas concurrentiels sur ce marché. Nous avons des usines qui ferment. L’agrivoltaïsme pourrait aider mais pas dans l’immédiat. Aujourd’hui l’agrivoltaïsme ne peut malheureusement pas servir à remplir les carnets de commandes des usines françaises. Le ministère de l’Economie réfléchit à comment rendre les usines françaises compétitives via des aides à l’achat, par exemple. On aimerait, dans quelques années être clients des usines françaises de préférence.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.