
Champion mondial des énergies vertes, le Brésil se retrouve paradoxalement victime de sa réussite. La surproduction d’électricité issue du solaire et de l’éolien, dopée par des politiques d’incitation généreuses, engendre désormais coupures, pertes économiques et instabilité du système électrique national.
Une suroffre record : 15,7 % de production renouvelable coupée en 2025
Le 10 août dernier, le Brésil a frôlé la panne nationale. Face à une demande d’électricité en chute libre, l’Opérateur national du système électrique (ONS) a dû stopper la quasi-totalité des parcs solaires et éoliens pour éviter une surcharge du réseau. Une situation devenue courante dans un pays où 88,2 % de la production électrique provient de sources renouvelables.
Selon le cabinet Volt Robotics, la part de production non générée à cause de coupures est passée de 0,7 % en 2022 à 15,7 % en 2025. En cause, une croissance de la production bien plus rapide que celle de la consommation, couplée à des retards d’infrastructures de transport d’électricité.
« Plusieurs des lignes de transmission d’électricité qui devaient entrer en opération ont connu des retards », déplore Rodrigo Sauaia, président exécutif de l’Association brésilienne de l’énergie solaire photovoltaïque (Absolar).
« Nous traversons la plus grande crise jamais connue par les énergies renouvelables au Brésil »
Entre 2012 et 2025, la puissance solaire installée a bondi de 10 à 60 gigawatts, portée par un essor spectaculaire de la production décentralisée. 70 % de cette puissance provient de panneaux installés par des particuliers, soutenus par 11,5 milliards de reais (soit 1,8 milliard d’euros) de subventions publiques en 2024.
« Le problème se concentre surtout dans le manque de contrôle de la production décentralisée d’énergie solaire », souligne Rosana Santos, directrice exécutive de l’Institut E+ Transition énergétique.
Faute de pouvoir agir sur les installations résidentielles, l’ONS coupe les grands parcs éoliens et photovoltaïques. Résultat : 1,8 milliard de reais de pertes pour le solaire entre avril 2024 et août 2025. « Nous traversons la plus grande crise jamais connue par les énergies renouvelables au Brésil », alerte Rodrigo Sauaia.
L’industrie éolienne en crise : 3,9 milliards de reais de pertes et 5 000 emplois supprimés
L’impact est encore plus sévère pour le secteur éolien. Entre octobre 2021 et juillet 2025, les pertes cumulées atteignent 3,9 milliards de reais, provoquant un ralentissement de la production industrielle et des suppressions massives d’emplois. « L’industrie éolienne est nationalisée à 80 % », rappelle Elbia Gannoum, présidente de l’Association brésilienne de l’énergie éolienne. Le principal fabricant de pales du pays, Aeris, a déjà licencié 5 000 salariés depuis 2022.
Face à ce déséquilibre croissant, le gouvernement cherche à stimuler la demande en électricité. Le ministre des Finances, Fernando Haddad, a annoncé en mai la création d’un plan d’incitations fiscales destiné à attirer des data centers, grands consommateurs d’énergie. Des appels d’offres pour le stockage par batteries et la production d’hydrogène vert (1 million de tonnes par an d’ici 2030) sont également à l’étude. Lors du Greener Summit 2025, Sumara Ticom, conseillère à la direction de la planification de l’ONS, a appelé à une action urgente : « Si les mesures ne sont pas mises en place rapidement, l’ONS risque de perdre le contrôle du système électrique. Il ne suffira plus de couper la production centralisée pour rééquilibrer le réseau ».
Selon les projections, la production décentralisée pourrait encore croître de 43,4 à 64,9 gigawatts d’ici 2029. Sans plan de régulation adapté, la réussite verte du Brésil pourrait bien se transformer en talon d’Achille énergétique.
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.