Alors que les certificats d’économie d’énergie constituent désormais un pilier discret mais massif du financement écologique, leur mécanisme fait peser sur les ménages une charge fiscale déguisée, estimée à 300 euros par foyer, tout en échappant largement au débat démocratique.
300 € / an par foyer : le coût caché des CEE
Reconduit pour la sixième fois le 4 novembre, le dispositif des certificats d’économie d’énergie a pris une place centrale dans l’architecture financière de la transition énergétique. Son principe est simple : au lieu de verser une taxe à l’État, les énergéticiens doivent atteindre des quotas d’économies d’énergie en finançant des actions « vertueuses » (bonus écologique de 5 200 € pour l’achat d’un véhicule électrique, aides à la rénovation comme MaPrimeRénov’, etc). L’ampleur financière est colossale : les énergéticiens doivent obtenir 1 050 TWh cumac d’économies d’énergie. Au prix courant d’un certificat, situé entre 10 et 15 euros le MWh cumac, la facture dépasse les 10 milliards d’euros par an.
Mais cette manne n’a rien de gratuite. Comme le souligne Sylvain Chassang, professeur d’économie à Princeton dans les colonnes des Echos le 25 novembre dernier : « les producteurs répercutent intégralement la hausse du coût de l’énergie sur leurs clients ». En clair, ce sont les ménages qui paient. Selon son analyse, la contribution atteint environ 300 euros par foyer et par an, une taxe bien réelle mais qui ne dit pas son nom.
Cette hausse se matérialise, par exemple, à la pompe. Depuis que le gouvernement a décidé d’augmenter l’obligation imposée aux énergéticiens à partir du 1er janvier, l’Union française des industries pétrolières anticipe un renchérissement immédiat : Olivier Gantois, directeur de l’Ufip Énergies et mobilités, estime que « les prix à la pompe vont augmenter de 4 à 6 centimes par litre ».
L’exclusion des CEE du budget de l’État renforce cette invisibilité : aucune ligne n’apparaît dans la loi de finances, aucune discussion parlementaire n’a lieu. Ce mécanisme permet même de financer l’augmentation du bonus écologique de 1 200 €, tout en affirmant simultanément vouloir réduire le déficit public. Là réside, selon Chassang, la « magie » du dispositif : « imposer une taxe qui passe inaperçue ».
CEE une taxe carbone pénalisant les plus modestes ?
Du point de vue économique, les CEE peuvent être vus comme une taxe carbone appliquée aux ménages. Pour Sylvain Chassang : « c’est probablement une bonne chose pour le climat », mais l’outil présente deux failles majeures.
La première est son caractère régressif : il pèse proportionnellement davantage sur les foyers modestes. Le sous-dispositif CEE « précarité », censé compenser cette injustice en valorisant mieux les économies d’énergie réalisées par les ménages vulnérables, ne convainc guère. Les risques que les intermédiaires captent la majeure partie des gains sont élevés.
La seconde faiblesse tient à l’absence totale de reddition de comptes. Puisque les CEE ne sont pas officiellement une taxe, le gouvernement n’a pas à démontrer que ces milliards ne seraient pas plus utiles ailleurs – réduction du déficit, investissements éducatifs ou sociaux. Cette absence de débat nourrit les dérives. Un rapport récent de l’UFC-Que Choisir décrit MaPrimeRénov’ comme opaque, peu efficace, reposant sur des économies fictives et alimentant une chaîne d’intermédiaires. Le Conseil d’analyse économique, lui, remet en question l’efficacité du bonus écologique.
En transférant ces dispositifs hors du budget de l’État, les arbitrages publics disparaissent : « le débat n’aura pas lieu », regrette Chassang. L’astuce comptable fonctionne si bien qu’elle en devient presque absurde. L’économiste ironise : pourquoi ne pas appliquer la même logique à d’autres secteurs ? On pourrait, suggère-t-il, imposer à l’agroalimentaire des « certificats d’économie de calories » pour financer la Sécurité sociale sans l’inscrire au budget de l’État.
Sources : AFP, Les Echos
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.