Dans ce 3e et ultime chapitre de notre entretien avec Xavier Blot, professeur associé à l’Ecole de Management de Lyon, spécialisé dans la transition énergétique, nous abordons la question épineuse de la politique énergétique française.
Opéra Energie : Il semble y avoir une tendance de fond à la remise en cause des mécanismes de transition énergétique, ces derniers mois, en France – qu’il s’agisse du gouvernement en place ou des partis d’opposition. On peut citer pêle-mêle la tentative de moratoire sur les énergies renouvelables, la contestation de l’existence de l’ADEME par certains sénateurs, la suspension de Maprimerénov’, la chasse aux « rentes publiques » dans le photovoltaïque, par le gouvernement Lecornu. Le sentiment général est que la transition n’est plus une priorité en France, alors même qu’un tiers de l’électricité consommée dans le pays provenait des renouvelables, en 2024. Partagez-vous ce constat ?
Xavier Blot : D’un point de vue politique, je pense que la transition énergétique est un sujet facile et fédérateur pour une extrême-droite qui a trouvé son marronnier pour instrumentaliser le pouvoir d’achat. Car oui, l’électricité c’est avant tout des factures pour les ménages et oui, nous possédons un parc nucléaire historique au coût de production compétitif qui ne se traduit pas pour autant dans lesdites factures. C’est une situation idéale pour contester la transition énergétique. Le raccourci est tout fait : « ma facture augmente à cause des EnR ». Pourtant, les choses sont bien plus complexes, mais les détails techniques sont incompréhensibles pour la plupart des gens. Et ce raccourci intellectuel est légitime et à prendre en compte.
OE : Il paraît difficile de justifier les investissements dans de nouvelles capacités, lorsqu’on est en surproduction ?
XB : La boussole prix est à double tranchant : elle doit indiquer le bas pour les consommateurs, mais pas trop pour permettre une rémunération correcte des investissements dans les actifs de production. Aujourd’hui nous sommes en situation de production excédentaire ce qui profite à certains discours. En effet, pourquoi investir dans des nouvelles capacités quand on est déjà largement excédentaire ? Ce raisonnement est une erreur majeure de planification. Tous les indicateurs montrent qu’avec la modification des usages – mobilité, IT, pompes à chaleur – nous auront besoin de plus de capacités. Or, construire plus de capacités s’effectue sur le long terme.
Ce n’est pas parce qu’on est excédentaire sur quelques années que cela doit dicter un agenda sur le temps long. Il n’y a jamais une parfaite égalité entre offre et demande, surtout dans cette période de transformation profonde de notre infrastructure. De plus des situations inverses, de contraintes énergétiques fortes, sont bien pires. N’oublions pas qu’entre 2022 et 2023, l’arrêt massif de réacteurs nucléaires liés à des problèmes de corrosion sous contrainte, a provoqué un déficit de production de l’ordre de 115 à 120 TWh.
OE : Fin octobre, le président de RTE, Xavier Piechaczyk, tirait la sonnette d’alarme : « la France ne s’électrifie pas assez vite ». A quel point l’électrification des usages est cruciale dans la transition énergétique du pays ?
XB : Comme je l’ai dit, pour les consommateurs cela se traduit une question simple mais crucial : comment assurer un prix compétitif pour les consommateurs avec les différents outils que nous avons aujourd’hui ? Nucléaires, renouvelables, batteries etc. cela devrait être la boussole à partir de laquelle le reste se traduit. Or, ce n’est pas du tout le cas.
La PPE et les divers objets réglementaires devraient donc promouvoir cette consommation électrique. En France, elle est structurellement basse et les événements comme le Covid, la guerre en Ukraine n’ont fait qu’accentuer ce manque de dynamisme. Pourtant tous les scénarios de transition indiquent la croissance des usages électriques, mais cela tarde à être suivi des faits, dans la réalité.
Dans la transition, l’électrification est un des grands leviers car on obtient des gains d’efficacité sans commune mesure. Un système 100% électrique n’aurait pas la nécessité de compenser toute la part couverte par les énergies fossiles car il y aura beaucoup moins de pertes liées aux conversions. Le passage de la voiture thermique à la voiture électrique est un bon exemple.
« Sans PPE des questions essentielles subsistent : que fait-on du nucléaire existant ? Investit-on dans le nouveau nucléaire ? Si oui, comment ? »
OE : C’est précisément le rôle de la PPE que d’assurer une stratégie énergétique long terme pour le pays. La PPE 3 est attendue depuis plus de deux ans. Précisez-nous ses fonctions et décrivez les conséquences de l’absence de PPE ?
XB : Les infrastructures énergétiques ont des besoins de capitaux importants, d’investissement significatifs et extrêmement régulés. La PPE est un signal politique qui permet aux différents acteurs d’obtenir de la visibilité. A l’heure actuelle, sur les marchés de l’énergie, les acteurs économiques ne se positionnent pas au-delà de trois ans. La PPE est là pour indiquer qui prend le risque. La PPE ce n’est pas un prix mais une programmation, une projection de volumes dans le mix. La PPE est prescriptive sur les cinq premières années et indicative sur les cinq suivantes. A partir de là, les acteurs peuvent établir des hypothèses de coûts, de volumes et mettre sur pied une stratégie industrielle. Ils savent qu’il y a des appels d’offres, avec des compléments de rémunération et des mécanismes incitatifs qui vont guider leurs futurs investissements. Ils peuvent se positionner. En somme, la PPE réduit le risque marché. Sans PPE des questions essentielles subsistent : que fait-on du nucléaire existant ? Investit-on dans le nouveau nucléaire ? Si oui, comment ?
OE : Au-delà de l’instabilité gouvernementale, quels sont les points d’achoppement qui empêchent la sortie de la PPE3 ?
XB : Les discussions sont compliquées car nous sommes à un tournant. Les renouvelables en Europe commencent à devenir significatif dans certains réseaux. C’est une époque de « maturité » qui amènent à de nouveaux arbitrages. Côté production, on s’interroge sur la place des compléments de rémunérations, des contrats portés par les états. Ils donnent de la visibilité en partageant le risque entre le public et le privé. Où placer le curseur pour des solutions qui semblent mures et dont on dit que les coûts ont fortement diminués ? C’est là où les clivages politiques s’expriment le plus. Côté consommation, et comme déjà dit, soit la facture est instrumentalisée, soit traitée avec une vision court-termiste. C’est l’angle mort à traiter d’urgence si l’on veut réconcilier les citoyens avec le sujet de l’énergie.
Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.