Le rapport de la Cour des comptes est sans appel : maintenir les 57 réacteurs actuels en service au-delà de 60 ans exigera des investissements massifs, mais resterait financièrement avantageux.

Alors que la France mise simultanément sur la construction de nouveaux EPR2 et sur la prolongation de son parc historique, la Cour des comptes dresse un constat sans détour : maintenir les 57 réacteurs actuels en service au-delà de 60 ans exigera des investissements massifs, plus de 130 milliards d’euros d’ici 2035, mais resterait, selon elle, financièrement avantageux par rapport à la construction de nouvelles capacités.

Coût de maintenance : 7 milliards d’euros par an

Premier poste d’investissement d’EDF, la maintenance des centrales nucléaires représente déjà 6 milliards d’euros par an, avec un pic attendu à près de 7 milliards en 2029, rappelle la Cour des comptes. Dans son rapport publié lundi, l’institution chiffre désormais le coût total du « grand carénage » à 100,8 milliards d’euros sur 2014-2035, et même 131,9 milliards d’euros en intégrant la maintenance courante. Pour les magistrats financiers, ces montants pourraient dépasser ceux nécessaires à la construction des six futurs EPR2, dont le budget définitif reste attendu. Au total, les investissements d’EDF atteindraient 460 milliards d’euros d’ici 2040.

131,9 milliards d’euros Soit le coût total du « grand carénage », en intégrant la maintenance courante, sur la période 2014-2035, selon la Cour des comptes.

Ce diagnostic intervient dans un contexte politique radicalement transformé. Alors qu’en 2016, la France projetait encore la fermeture de 15 réacteurs supplémentaires après Fessenheim, la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) prévoit désormais la construction de nouveaux réacteurs et la prolongation du parc actuel au-delà de 50 puis 60 ans.

L’enjeu est immense : éviter que la capacité nucléaire française ne soit divisée par deux dans vingt ans, alors que la première paire d’EPR2, à Penly, n’entrerait en service pas avant 2038, et seulement si la décision de construction est prise en 2026.

Mais tous les réacteurs ne pourront pas suivre : EDF estime déjà que six d’entre eux « ne seraient pas qualifiés » pour dépasser les 60 ans, notamment en raison de la fatigue des composants les plus sensibles, comme les cuves.

Des « difficultés persistantes dans la maîtrise des durées d’arrêt »

Si la prolongation est jugée « rentable » et « très compétitive » par rapport à des constructions neuves, selon la Cour des comptes, elle coûtera toutefois bien plus cher que prévu. Le passage de 40 à 60 ans est désormais estimé à 51 €/MWh, contre 35 €/MWh lors de la précédente évaluation.

Deux facteurs expliquent ce renchérissement :

  • les 30 milliards d’euros nécessaires aux nouvelles usines de retraitement du combustible usé (Melox 2 et La Hague 2),
  • la révision à la baisse du taux de disponibilité, désormais fixé à 70 %, contre 75 % auparavant.

Ce recul traduit une tendance observée depuis 2015 : la disponibilité moyenne, passée de 80 % dans les années 2000 à 75 %, place désormais EDF loin des performances des États-Unis ou de la Chine.

Les causes sont multiples : arrêts prolongés pour maintenance, crise sanitaire, puis crise de la corrosion sous contrainte. Cette dernière a entraîné une perte d’exploitation estimée à 34,4 milliards d’euros par EDF et à 38,4 milliards d’euros par la Cour, entre 2021 et 2024.

À cela s’ajoute une modulation de puissance plus fréquente, imposée par l’essor du solaire : les réacteurs doivent désormais varier leur production plusieurs fois par jour.

Malgré des progrès notables grâce à la réforme interne « Start 2025 », lancée en 2019, la Cour pointe encore des « difficultés persistantes dans la maîtrise des durées d’arrêt » et appelle EDF à mieux identifier les compétences critiques à réinternaliser. Elle recommande également un suivi financier plus rigoureux pour tenir délais et budgets.

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.