Les États-Unis et le Qatar, deux fournisseurs majeurs de GNL, mettent l'Europe en garde contre les effets économiques et énergétiques des réglementations jugées excessives.
Saad Sherida Al Kaabi, ministre d’État qatari aux Affaires énergétiques.

À l’heure où Bruxelles tente d’imposer de nouvelles exigences environnementales aux entreprises, les États-Unis et le Qatar, deux fournisseurs majeurs de gaz naturel liquéfié, mettent en garde contre les effets économiques et énergétiques de ces réglementations jugées excessives. Un rappel à la réalité énergétique au moment où l’Europe cherche à concilier transition écologique et approvisionnement sûr.

Le devoir de vigilance, un « obstacle majeur au maintien et à l’expansion des partenariats énergétiques »

Dans une lettre conjointe adressée à l’Union européenne, les États-Unis et le Qatar ont exprimé leur « profonde préoccupation » face à la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD), estimant qu’elle menace la compétitivité industrielle et la sécurité énergétique du continent.

Signée par Chris Wright, secrétaire américain à l’Énergie, et Saad Sherida Al-Kaabi, ministre d’État qatari aux Affaires énergétiques, la missive alerte sur les « conséquences involontaires » de la directive, notamment sur les exportations de GNL et la disponibilité d’une énergie fiable et abordable pour les consommateurs européens. Les deux responsables regrettent le manque de dialogue approfondi avec Bruxelles, malgré une année de consultations, et s’inquiètent du fait que les textes adoptés par le Parlement et le Conseil européens ne répondent pas aux inquiétudes formulées. Selon eux, certaines dispositions clés comme celles sur la transition climatique, les sanctions et la responsabilité civile « posent des obstacles majeurs au maintien et à l’expansion des partenariats énergétiques ».

Washington et Doha rappellent que le gaz naturel et le GNL resteront une composante essentielle du mix énergétique européen pour les décennies à venir, et préviennent que l’application trop rigide de la directive pourrait dissuader les investissements, augmenter les prix de l’énergie et compromettre des accords commerciaux récents. « Nous restons prêts à travailler avec l’Union européenne pour éviter que ces réglementations ne freinent les ambitions de son peuple et de ses industries », écrivent conjointement Chris Wright et Saad Sherida Al-Kaabi.

L’Europe, entre transition verte et réalités géopolitiques

Le droit de vigilance, instauré initialement en France en 2017 et étendu à l’échelle européenne via la CSDDD, impose aux grandes entreprises de surveiller et prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. En d’autres termes, il vise à rendre les multinationales responsables des impacts sociaux et écologiques de leurs filiales et sous-traitants, y compris à l’étranger.

La remise en cause de la CSDDD s’inscrit dans une pression plus large exercée par les grands exportateurs de gaz à l’égard de l’Europe. Les fournisseurs de GNL, au premier rang desquels les États-Unis et le Qatar, exhortent Bruxelles à freiner sur ses ambitions vertes, redoutant qu’elles ne rendent l’approvisionnement européen plus coûteux et moins attractif. Les deux pays insistent sur un argument central : l’Europe ne peut pas se permettre de se détourner trop vite du gaz, au risque d’affaiblir sa sécurité énergétique alors que les tensions géopolitiques persistent. Cette position reflète le bras de fer entre les objectifs climatiques de long terme et les impératifs énergétiques immédiats.

Derrière ce message diplomatique se dessine une stratégie d’influence : les grands exportateurs entendent peser sur les choix réglementaires européens afin de garantir la pérennité de leurs débouchés. Mais cette posture met aussi Bruxelles face à ses contradictions : comment accélérer la décarbonation sans fragiliser l’approvisionnement ? Alors que 46 dirigeants de grandes entreprises européennes ont récemment appelé à revoir la CSDDD, les États-Unis et le Qatar rappellent que la transition énergétique ne peut se faire sans sécurité d’approvisionnement. « L’Union européenne fait face à un choix décisif : préserver sa compétitivité et sa stabilité énergétique, ou risquer une désindustrialisation accélérée », conclut la lettre signée par les deux ministres de l’énergie.

Face à ce coup de pression, l’Europe paraît plus divisée que jamais. L’Allemagne et l’Italie voient cette directive comme un fardeau administratif important et craignent que bon nombre de PME ne soient pas en mesure d’en respecter les exigences sans conséquences néfastes. Les pays du nord du continent ainsi que l’Espagne, eux, voient dans le devoir de vigilance un moyen d’harmoniser la règlementation à l’échelle de la région.

En France, des demandes d’assouplissement ont été formulées afin de rendre la directive plus soutenable. En réponse, un collectif d’une douzaine de personnes dont des députés et des responsables associatifs ont publié dans Le Monde du 20 octobre, une lettre ouverte enjoignant le pays à ne pas contribuer à la disparition du droit de vigilance.

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.