Selon un rapport publié par The Shift Project, la généralisation de l’intelligence artificielle, et en particulier de l’IA générative, pourrait faire exploser la consommation électrique mondiale au point de compromettre les trajectoires de décarbonation.
Une croissance fulgurante de la consommation
La consommation des centres de données ne cesse d’augmenter : 165 TWh en 2014, 420 TWh en 2024 (hors cryptomonnaies), avec une accélération récente (+13 %/an sur 2019-2024). Si la tendance actuelle se poursuit, leur demande pourrait atteindre 1 500 TWh par an en 2030, soit près de trois fois plus qu’aujourd’hui.
L’IA en serait le moteur principal. En 2025, elle compte déjà pour environ 15 % de la consommation électrique des centres de données, une part qui pourrait dépasser 35 % d’ici 2030.
Cette croissance s’explique par un effet boule de neige : l’usage massif de l’IA pousse à construire toujours plus de serveurs, et ces nouvelles capacités techniques ouvrent la voie à de nouveaux services (IA générative, cloud, vidéos, cryptomonnaies, etc.), qui accroissent encore la demande.
Un poids carbone considérable
En parallèle, l’empreinte carbone des centres de données pourrait grimper jusqu’à 920 MtCO₂e en 2030, soit environ deux fois les émissions annuelles de la France. Même avec un mix électrique de plus en plus décarboné, l’augmentation massive des volumes efface les gains, menant à une trajectoire jugée « insoutenable » par le Shift.
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L’Europe face au risque de saturation
Le cas de l’Irlande illustre l’ampleur du défi : les data centers y absorbent déjà plus de 20 % de l’électricité nationale, dépassant la consommation résidentielle urbaine. À l’échelle du continent, leur consommation pourrait doubler entre 2023 et 2030 et quadrupler d’ici 2035. Une telle hausse, non anticipée dans les scénarios énergétiques actuels, mettrait en péril la capacité de l’Europe à atteindre ses objectifs climatiques.
En cas de tensions, le recours au gaz naturel, comme aux États-Unis, est à craindre, ce qui ajouterait jusqu’à 100 MtCO₂e aux émissions du continent.
En Europe, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et l’Irlande absorbent près des deux tiers de la consommation des data centers, pour seulement 40 % de la population.
Une France mal préparée
Pour l’Hexagone, les projections oscillent entre 33 et 45 TWh de consommation en 2035, soit 5,5 % à 7 % de la demande totale d’électricité, équivalant à près d’un tiers de la consommation industrielle nationale.
Or, ni les scénarios de RTE ni la Programmation pluriannuelle de l’énergie ne prennent pleinement en compte ce choc, prévient le Shift.
Pour rappel, le bilan RTE 2023 table sur 23 à 28 TWh en 2035 de consommation pour les centres de données, alors que les demandes de raccordement déjà validées par RTE équivaudraient, à elles seules, à une consommation de près de 45 TWh dès 2030. Autrement dit, les projets engagés dépassent déjà largement les hypothèses officielles.
Le rapport met aussi en garde contre une compétition directe pour l’accès à l’électricité entre les centres de données et d’autres secteurs stratégiques.
Alors que la transition énergétique repose sur l’électrification des transports, du chauffage et de l’industrie, ces infrastructures pourraient accaparer une part croissante de l’électricité bas-carbone, au détriment de ces secteurs prioritaires. Leur raccordement massif mettrait également sous tension les réseaux locaux, comme l’a montré l’exemple irlandais, contraint de geler certains projets industriels et immobiliers face à la saturation. À cela s’ajoute une forte pression sur les ressources en eau nécessaires au refroidissement, parfois dans des territoires déjà vulnérables.
Faire des choix clairs
Le rapport insiste sur l’urgence de fixer une trajectoire-plafond de consommation électrique pour les centres de données et d’intégrer ce facteur dans la planification énergétique.
Le Shift propose plusieurs leviers :
- concevoir des modèles d’IA plus frugaux, moins coûteux en calcul et en matériel ;
- orienter le déploiement vers des usages réellement pertinents ;
- instaurer une transparence publique sur la consommation des infrastructures numériques ;
- développer une méthode d’évaluation permettant de vérifier si chaque projet d’IA est compatible avec les budgets carbone.
« Si les leviers ne permettent pas de rendre la solution d’IA compatible avec le budget carbone de référence, elle doit être abandonnée, ou remplacée par une solution hors IA. » résume le rapport.
Sophie-Charlotte MARTIN, Conceptrice-Rédactrice spécialisée
Titulaire d'un master 2 en Lettres Classiques, complété d'un master 2 en Communication et d'un cycle web marketing à la CCI de Lyon, Sophie-Charlotte est intervenue sur des sujets aussi B2C que B2B, on et off line.
Régulièrement confrontée aux problématiques tertiaires et industrielles, elle s'est spécialisée en énergie. Aujourd'hui, elle garantit au quotidien la direction et la production éditoriale de l'entreprise. Sophie-Charlotte MARTIN est Responsable éditoriale d'Opéra Energie.