Alors que l’Union européenne s’apprête à tourner définitivement la page du gaz russe d’ici à 2027, le spectre d’une nouvelle dépendance énergétique se profile à l’horizon : celle du gaz naturel liquéfié américain.
La leçon russe
L’Union européenne a récemment présenté son plan pour se libérer complètement du gaz russe d’ici 2027. Une transition déjà bien engagée, puisque la part de la Russie dans les importations gazières de l’UE est passée de 52 % en 2019 à 18 % en 2024. Mais, comme le souligne Lionel Ragot, économiste, « les derniers efforts sont souvent les plus difficiles ».
Si la stratégie pour rompre avec Moscou est clairement établie, l’UE reste muette sur les alternatives durables. Cette absence de cap sur les sources de substitution pourrait ouvrir la voie à une nouvelle dépendance, cette fois envers le GNL américain. Et cela, dans un contexte où l’énergie est devenue une arme géopolitique.
L’épisode russe a démontré à quel point cette dépendance pouvait être utilisée à des fins coercitives. Dès 2021, bien avant l’invasion de l’Ukraine, Gazprom avait réduit de 16 % ses livraisons à l’UE, tout en gardant ses capacités de stockage en Europe à des niveaux historiquement bas. Cela a enclenché la flambée des prix, aggravée par les mesures russes imposées en 2022, dont l’exigence du paiement en roubles et la fermeture des gazoducs Yamal et Nord Stream. Résultat : une chute de 58 % des livraisons entre 2019 et 2022.
Le prix du gaz s’est envolé à 132 €/MWh en 2022 (pic à 311 € en août), contre 47 € un an plus tôt. Cette hausse a contaminé le prix de l’électricité, faisant bondir l’inflation dans l’UE de 1,6 % en 2019 à 10,4 % en 2022. « Cette dépendance au gaz russe s’est révélée être une arme redoutable pour le Kremlin », insiste Lionel Ragot, rappelant que Moscou s’en est servi pour tenter de dissuader les soutiens européens à l’Ukraine.
GNL américain : une solution ?
Face à cette urgence, l’Europe a su réagir rapidement. Diversification des sources, baisse de la demande, solidarité entre États membres : ces mesures ont permis de stabiliser les marchés et de ramener les prix à leur niveau d’avant-crise dès début 2023. Au cœur de cette stratégie : le GNL, beaucoup plus flexible que le gaz acheminé par pipeline.
La part du GNL dans les importations européennes a bondi de 20 % en 2021 à plus de 38 % en 2024. Les États-Unis, alors troisième fournisseur derrière l’Afrique et le Moyen-Orient, sont désormais la première source de GNL pour l’Europe, représentant à eux seuls 48 % des importations en 2024.
Cette solution, si efficace à court terme, n’est pas sans poser de nouvelles questions stratégiques. De nombreux acteurs plaident pour augmenter encore ces volumes en provenance des États-Unis afin de compenser totalement la sortie du gaz russe. Mais Lionel Ragot met en garde : « La sortie de la dépendance au gaz russe ne doit pas se faire en basculant dans une autre dépendance, fût-elle auprès d’un allié. » Et de rappeler que cet allié, en pleine guerre commerciale, « se montre plus intransigeant avec ses amis qu’avec ses adversaires traditionnels ». L’Europe ne peut donc ignorer le risque de se retrouver à nouveau prise au piège d’une dépendance énergétique. Diversifier ses approvisionnements reste plus que jamais une nécessité stratégique.
Source : Les Echos
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.