Fragilisée par des coûts énergétiques durablement élevés, une visibilité politique insuffisante et une concurrence mondiale toujours plus agressive, l’industrie européenne affronte une phase de décrochage sans précédent. Des secteurs autrefois dominants comme la chimie, la plasturgie, la métallurgie ou l’automobile voient désormais leurs positions menacées, révélant les limites des ambitions de réindustrialisation du continent.
Une production industrielle en recul
Sur l’ensemble du continent, les signaux d’alerte se multiplient. L’exemple d’Ynsect illustre ce retournement brutal : annoncée en 2019 comme futur « leader mondial des protéines alternatives », la start-up a été liquidée en 2025 après avoir licencié les trois quarts de ses salariés. Ce cas symbolique reflète plus largement l’essoufflement de la politique française de réindustrialisation, patinant depuis 2024.
L’instabilité politique nationale aggravant le manque de visibilité, la France n’est toutefois pas une exception. En Allemagne, la principale fédération industrielle évoquait début décembre un « décrochage structurel » de la production manufacturière. Le ministre délégué français à l’Industrie, Stéphane Martin, a lui-même décrit une fin d’année « extrêmement dure et compliquée pour l’industrie européenne dans son ensemble ».
Certains secteurs atteignent des niveaux planchers : la fédération allemande de la chimie et de la pharmacie constate une production au plus bas depuis 30 ans, tandis que le groupe français Arkema relève « des différences de dynamique très fortes » selon les zones géographiques où il opère.
La plasturgie tire la sonnette d’alarme, se disant « au bord du gouffre » face au cumul de pressions : prix de l’électricité et du gaz, normes environnementales plus strictes qu’ailleurs, coûts salariaux élevés et chute des prix due à la concurrence internationale. Selon Plastics Europe, ces déséquilibres sont devenus structurels.
Une concurrence chinoise massive
La pression concurrentielle provient majoritairement de la Chine, qui redirige vers l’Europe des volumes moins absorbés par les États-Unis. En 2025, l’Union européenne importera pour la première fois plus de voitures de Chine qu’elle n’en exportera vers ce pays, selon les données des équipementiers (Clifa).
La domination chinoise s’illustre aussi dans l’acier : plus d’un milliard de tonnes produites en 2024, soit 55 % de la production mondiale, contre seulement 130 millions de tonnes pour l’ensemble de l’Union européenne, rappelle Eurofer. Une partie de cet acier est écoulée en Europe à prix cassés, fragilisant encore les producteurs locaux.
Mais la compétitivité chinoise ne se limite plus aux volumes ou aux coûts. Pour Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l’IAE de Poitiers, le pays « a démontré sa capacité à répondre à des demandes complexes dans de nombreux secteurs d’activité ». En conséquence, « il faut s’assurer que l’industrie européenne soit performante », ajoute-t-elle, estimant qu’elle pourrait l’être davantage.
Face à cette situation, Bruxelles tente de réagir. La Commission européenne prépare un plan acier visant à réduire les importations exemptées de droits de douane, tandis que des mesures de soutien à l’automobile sont attendues. La France plaide pour une « préférence européenne » afin de renforcer la production locale de valeur ajoutée.
Mais ces initiatives suscitent des critiques. Les industries mécaniques, regroupées au sein de la FIM, redoutent une hausse des coûts si le plan acier, « par nature inflationniste », entrait en vigueur. Les céréaliers s’inquiètent quant à eux de la hausse possible du prix des engrais liée au MACF, le mécanisme carbone aux frontières.
Plus globalement, ces dispositifs, qui ciblent l’amont de la chaîne de valeur, risquent d’être contournés, notamment via des étapes de transformation hors Europe. Comme le souligne Anaïs Voy-Gillis, « ces mécanismes portent sur l’amont de la chaîne de valeur (…) et peuvent être contournés par une première transformation hors d’Europe ».
Source : AFP
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.