Le parc nucléaire français est-il dimensionné pour répondre au réchauffement climatique ?
L’Assemblée nationale a adopté mardi 21 mars le projet de loi de relance nucléaire. Hasard du calendrier, la Cour des Comptes vient de publier son rapport visant à renforcer l’adaptation des réacteurs, actuels et futurs, au réchauffement climatique.
Crise énergétique et retour en grâce du nucléaire
Le projet de loi simplifie les démarches administratives pour le lancement de nouvelles centrales nucléaires. Il prévoit la construction de six nouveaux réacteurs EPR à l’horizon 2035 et le lancement d’études pour la mise en chantier de huit supplémentaires. Il acte aussi la suppression de la limite des 50% de nucléaire dans le mix électrique. Il faut dire qu’en pleine crise des prix de l’énergie, le nucléaire combine l’avantage d’être une énergie décarbonée et de garantir la souveraineté énergétique du pays.
EDF est-il au rendez-vous des problématiques liés au changement climatique ?
C’est en substance la question que pose la Cour des Comptes, dans son rapport sur l’adaptation au changement climatique du parc nucléaire français.
« Le réchauffement climatique est une réalité à laquelle l’humanité sera confrontée tout au long du XXIe siècle et au-delà » rappelle la Cour, comme l’a encore souligné le GIEC dans son sixième rapport paru lundi 20 mars.
Cela aura nécessairement des incidences sur le parc nucléaire en service et sur les réacteurs à venir. En 2022, malgré de nombreuses indisponibilités de réacteurs, le parc nucléaire a assuré 63 % de la production électrique française, soit 279 TWh. Sa maintenance et sa pérennité sont des enjeux majeurs pour les besoins en électricité du territoire.
EDF doit donc se préparer à relever nombre de défis techniques et industriels liés au changement climatique pour garantir la performance de son parc et sa sécurité.
« La sensibilité du parc de réacteurs au climat, et plus largement celle de l’ensemble des activités du groupe, explique l’engagement, dès 1990, de la direction de la recherche et du développement d’EDF dans des projets de recherche collaboratifs autour du changement climatique. » note la Cour des Compte.
L’entreprise a notamment lancé le programme ADAPT en vue d’analyser le niveau d’adaptation du parc nucléaire existant au dérèglement climatique. La particularité du projet est son approche « site par site » et sa vision systémique.
Une approche pointée du doigt
Les épisodes climatiques de l’été 2022 ont constitué un accélérateur de la prise en compte de l’adaptation au changement climatique pour EDF dans la mesure où le groupe anticipait la survenue d’épisode semblables, mais à un horizon plus éloigné de 15 ou 20 ans.
Cependant, la Cour des Comptes regrette l’absence d’une « « approche intégrée, territorialisée et partagée par l’ensemble des acteurs concernés par la fourniture d’électricité d’origine ».
Le rapport souligne d’ailleurs que le Gendarme du nucléaire partage son point de vue : « l’ASN a indiqué que dans une perspective de long terme il convenait de privilégier une approche large (et non en silos) c’est-à-dire une approche systémique, intégratrice et territoriale. »
EDF n’aurait pas pris la pleine mesure des coûts à venir
EDF ne comptabilise pas séparément les investissements réalisés en lien direct avec l’adaptation au changement climatique. À la demande de la Cour, l’entreprise a toutefois produit des tableaux agrégeant les dépenses se rapportant aux principales adaptations consécutives aux plans de l’entreprise à certains investissements liés aux visites décennales.
Les dépenses programmées en lien avec l’adaptation au changement climatique sur la période 2022-2038 s’élèveraient à environ 612 M€.
« Il est donc nécessaire, au titre de sa politique de responsabilité sociale et environnementale comme de sa communication financière, qu’EDF puisse disposer dans l’avenir d’une information précise sur le coût de l’adaptation climatique pour l’entreprise » souhaite la Cour des Comptes.
Cette dernière estime encore plus préoccupant que l’approche d’EDF ne permette pas de chiffrer le « coût de l’adaptation au changement climatique dans l’architecture budgétaire des futurs programmes ». Les pouvoirs publics ont d’ailleurs dressé le même constat en 2022, indiquant que « Le chiffrage d’EDF intègre certains risques auxquels la filière nucléaire est exposée, mais pas l’ensemble des surcoûts possibles ».
Vers l’apparition de pointes de consommation estivales ?
« Depuis 2018, une nouvelle augmentation significative des arrêts pour causes climatiques est observée, avec des pertes s’élevant à plusieurs térawattheures par an. » explique le rapport. Compte tenu du réchauffement climatique, les indisponibilités sont amenées à s’accroitre. Elles seraient ainsi multipliées par trois ou quatre d’ici à 2050.
Or, cela est d’autant plus inquiétant que la demande d’électricité ne va cesser d’augmenter, notamment pendant la période estivale. « À terme pourrait ainsi apparaitre une pointe de consommation l’été, comme c’est le cas en Amérique du Nord. » alerte la Cour des Comptes.
Sur le sujet, EDF veut rassurer, estimant faible la probabilité d’un scénario combinant baisse de la production nucléaire et hausse de la consommation.
« De son côté, l’État considère que cette question ne constitue pas un risque pour le réseau électrique et que les pertes de productions estivales seront compensées par une mobilisation accrue des énergies renouvelables. »
Malgré tout, la Cour des Comptes invite l’Etat à plus de prudence. Elle lui recommande ainsi de davantage prendre en compte la contrainte hydrique et les risques de tension accrus sur le réseau qu’elle pourrait engendrer.