La Chine et la Russie imposent leur domination sur le marché mondial du nucléaire civil. États-Unis, Japon, Corée du Sud tentent d’organiser une riposte concertée.
Le programme nucléaire d’EDF représente à lui seul 460 milliards d’euros d’ici 2040, selon la Cour des comptes. Un effort colossal qui limite ses ambitions à l’international.

Alors que la Chine et la Russie imposent leur domination sur le marché mondial du nucléaire civil, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud tentent d’organiser une riposte concertée. En Europe, la mobilisation reste timide.

Une relance mondiale portée par les États-Unis : +50 % d’investissements en cinq ans

La renaissance du nucléaire ne se limite plus à la France. La World Nuclear Exhibition (WNE), qui s’est ouverte cette semaine à Villepinte, en témoigne : 25 000 visiteurs venus de 88 pays, 1 000 exposants et 24 pavillons nationaux illustrent la vigueur retrouvée du secteur. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les investissements mondiaux dans le nucléaire ont augmenté de 50 % en cinq ans, tandis que l’AIEA prévoit une cinquième année consécutive de hausse des dépenses. « Ce ne sont plus seulement des mots, la relance du nucléaire est bien en cours, l’année 2025 en est la confirmation, avec des décisions fermes de construire plusieurs centrales », affirme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN).

Le coup d’accélérateur vient des États-Unis. Donald Trump a annoncé un plan colossal de 80 à 100 milliards de dollars pour la construction de huit à dix nouveaux réacteurs, avec l’objectif de quadrupler la capacité nucléaire américaine, passant de 100 GW en 2024 à 400 GW d’ici 2050. Longtemps focalisé sur la prolongation de ses centrales existantes, le pays est désormais poussé à investir massivement par la demande énergétique explosive de l’intelligence artificielle. Ainsi, un accord entre le développeur américain Fermi et Westinghouse prévoit la construction de quatre réacteurs AP1000 au Texas, destinés à alimenter un immense centre de données, avec le soutien technologique de Hyundai et Doosan. Le « superdeal » de Trump fait, lui, appel à des capitaux japonais, mobilisant Mitsubishi et Toshiba. « Le nucléaire, cela a toujours été une histoire de partenariats. On ne peut pas envisager une reprise du nucléaire occidental sans des alliances multiples », analyse Cécile Maisonneuve, fondatrice du cabinet Decysive. Et d’ajouter : « Face à la Chine et à la Russie, il faut désormais parler d’un nucléaire occidental, fondé sur la standardisation et la complémentarité des compétences ».

Russie et Chine en tête : Moscou contrôle 20 % de l’uranium européen

Si l’Occident s’organise, la domination du marché mondial reste, pour l’heure, entre les mains de la Russie et la Chine. Moscou est le premier exportateur mondial de réacteurs nucléaires civils. Le conglomérat Rosatom revendique 18 réacteurs en construction dans des pays aussi variés que le Bangladesh, l’Inde, la Turquie, l’Égypte ou la Hongrie, générant 18 milliards de dollars de revenus à l’international. « Ce traité [de non-prolifération] prévoit, en échange du désarmement nucléaire, de faciliter l’accès aux technologies civiles. Or, aujourd’hui, c’est la Russie qui fait ce travail. Et la Chine va s’y mettre », avertit Cécile Maisonneuve.

L’Europe, quant à elle, demeure dépendante : 20 % de son uranium provient encore de Russie, et 38 % pour l’uranium enrichi. Même les États-Unis, malgré un vote pour en interdire l’importation, continuent d’en acheter. La Chine, forte de son expérience domestique, commence désormais à exporter ses propres technologies, notamment au Pakistan.

Face à ce mur d’investissements, la riposte européenne paraît timide. Le programme nucléaire d’EDF représente à lui seul 460 milliards d’euros d’ici 2040, selon la Cour des comptes, un effort colossal qui limite ses ambitions à l’international : « On peut s’inspirer de certaines méthodes chinoises. Dans ce secteur, il n’y a pas de secret : plus on construit, plus on est efficace », souligne Sylvie Bermann, ambassadrice de France et présidente de la WNE. L’Europe tente néanmoins de poser les bases d’une coopération. L’Alliance pour le nucléaire, lancée par Agnès Pannier-Runacher, regroupe désormais 14 États membres. Les projets de petits réacteurs modulaires (SMR) ou de fusion nucléaire pourraient bénéficier de financements communautaires ; mais la bataille s’annonce rude, comme le note Cécile Maisonneuve : « si l’on croit pouvoir relancer seuls un plan Messmer, avec une industrie qui pèse moins de 10 % du PIB et sans financements privés, on fait fausse route ».

L’intelligence artificielle pourrait bien, paradoxalement, devenir l’alliée inattendue du nucléaire européen, en stimulant à la fois la demande énergétique et l’optimisation des chantiers. « Nous ne sommes pas décrochés technologiquement, et l’IA peut aider à améliorer les délais et à limiter les coûts », poursuit Cécile Maisonneuve. Et Sylvie Bermann de conclure : « Le champ des applications est désormais immense, de la médecine à la propulsion spatiale, en passant par l’agriculture. Le nucléaire s’apprête à sortir de son périmètre historique. »

Source : Les Echos

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.