AIE : où en est la transition énergétique ?
A l’occasion des 50 ans de l’Agence internationale de l’Energie, Fatih Birol revient sur l’évolution de la transition énergétique lors d’une interview donnée aux Echos, publiée le 1er mars.
Comment sortir des énergies fossiles : focus sur le pétrole
L’AIE a fêté, il y a quelques jours, ses 50 ans à Paris. Son directeur exécutif, Fatih Birol, a délivré sa vision de l’évolution de la transition énergétique dans le monde. S’il fallait trouver un bémol à la conclusion de la COP 28 en décembre dernier, ce sera l’absence d’échéances précises pour l’abandon des énergies fossiles. Une occasion manquée qui ne constitue pas un problème pour le chef de l’agence. Il a annoncé dans son interview aux Echos que l’AIE surveillerait les engagements pris par les Etats à la COP 28 et leur mise en œuvre en lançant plusieurs études donnant lieu à rapports afin de pouvoir évaluer l’efficacité des actions engagées.
L’AIE semble avoir fait de la baisse de l’exploitation de pétrole l’un de ses principaux chevaux de bataille, avec un objectif : faire chuter de 25% la demande mondiale de pétrole qui s’élève aujourd’hui à 100 millions de barils par jour. Pour cet ancien de l’OPEP, il n’y a pas besoin de développer de nouveaux projets pétroliers sans compter que les risques financiers liés aux déploiements de nouveaux projets seront chaque jour plus importants. Il donne l’exemple de la Chine pour illustrer et justifier son propos : « Beaucoup ne voient pas ce qui se passe en Chine. Au cours des dix dernières années, les deux tiers de la croissance de la demande mondiale de pétrole venaient de Chine car l’économie chinoise était en forte croissance, supérieure à 6 ou 7 %. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que l’économie chinoise va ralentir, autour de 4 % de croissance. La Chine va donc avoir besoin de moins de pétrole. Et les transports, le secteur le plus important pour le pétrole, sont en train de s’électrifier ».
Lorsqu’on lui oppose la question de la rentabilité qui engendre une pression des actionnaires sur les entreprises, Birol assure qu’après l’échec financier de plusieurs projets pétroliers, la demande chutera inexorablement entrainant des pertes pour entreprises et actionnaires. Il deviendra alors plus rationnel économiquement de se tourner vers d’autres moyens comme les énergies propres.
Enfin, Fatih Birol critique l’attitude de dirigeants pétroliers, tout en les appelant à l’aide : « Quand j’écoute les discours des dirigeants des pétroliers, 60, 70, voire 80 % sont consacrés aux énergies propres, contre seulement 2,5 % de leurs investissements. Il y a un décalage immense. Mais j’espère que cela va changer car nous avons besoin d’eux ». Il va jusqu’à en faire des acteurs essentiels de la transition énergétique de part leurs grosses capacités d’investissements, leurs compétences dans la gestion des projets d’ingénierie à grande échelle, ainsi que leur expertise pouvant servir à l’éolien offshore et à la géo-énergie.
La transition énergétique : l’affaire de tous les pays
Pour Birol, c’est le marché qui dictera la transition énergétique bien plus qu’une quelconque prise de conscience. Pour lui, les technologies vertes, en devenant plus abordables, s’imposeront d’elles-mêmes. Si 85% des centrales électriques sont aujourd’hui alimentées par des énergies renouvelables c’est parce que le solaire est la source d’énergie la moins chère dans différents coins du globe. « A Davos, 18 des 20 patrons des plus grands constructeurs automobiles expliquaient que leur priorité était l’électrification. Ce n’est pas parce qu’ils veulent sauver la planète, c’est parce qu’il s’agit du prochain chapitre de l’industrie », illustre le directeur exécutif de l’AIE.
Par ailleurs, Birol rappelle que la politique industrielle des Etats reste cruciale. Au cours de l’interview, il félicite la Chine pour la mise en œuvre de sa politique favorisant les EnR en oubliant, malgré tout, de mentionner que la Chine est de loin le plus grand émetteur d’émissions de CO2 en 2023 (565 millions de tonnes) et que sa croissance post-covid reposait en grande partie sur l’exploitation des énergies fossiles.
Fatih Birol s’inquiète aussi des différences trop marquées dans l’avancée de la transition, à travers le monde. « Si ces pays [les émergents] augmentent leurs émissions, cela anéantira les efforts que nous ferons. Les émissions de CO2 n’ont pas de frontières. Même si la France atteint demain la neutralité, l’impact du changement climatique sera exactement le même si les émissions ne baissent pas ailleurs. ». Il déplore que sur un continent comme l’Afrique qui abrite 60% des ressources solaires mondiales, un habitant sur deux n’ait pas accès à l’électricité. « Et pourtant, aujourd’hui, le continent produit moins d’électricité solaire que la Belgique ! », s’exclame-t-il.
Charbon vs. Nucléaire : « le nucléaire est un actif précieux pour la France »
Le retour du charbon dans certains pays est une source d’inquiétude pour l’AIE. Si certaines centrales ne sont pas fermées, il deviendra impossible d’atteindre les objectifs de décarbonation. Malgré ce constat, Fatih Birol défend à nouveau la Chine qui a ouvert de nombreuses centrales à charbon, l’année passée : « La Chine le fait d’abord pour des raisons de sécurité. Elle a connu des coupures, à cause de la sécheresse qui a touché sa production hydraulique, et du manque de vent qui a affaibli sa production éolienne. Cela l’a traumatisée. Les centrales à charbon sont là en dernier recours. La Chine les construit mais en réalité, elle les utilise de moins en moins ».
Quant au nucléaire, Birol se félicite que sa popularité grandisse : « Même en France, je me souviens que je défendais le nucléaire, il y a quelques années, face au gouvernement. Les choses ont changé et je remercie Emmanuel Macron d’être aussi ambitieux dans ce domaine. Le nucléaire, c’est un actif précieux pour la France, au même titre que l’Arc de triomphe ». D’ailleurs, des pays comme le Japon ou la Corée du Sud qui ne voulaient plus s’appuyer sur l’atome, y reviennent.
La Chine qui à elle seule est à l’origine de 80% des nouvelles centrales nucléaires construites en 2023 dans le monde, va bientôt dépasser les Etats-Unis comme première puissance dans le nucléaire.
Pour Birol, si le nucléaire est une parfaite alternative à l’intermittence des énergies renouvelables, il déplore néanmoins que l’industrie nucléaire ait du mal à respecter ses budgets et ses délais de livraison de chantiers : « Ce n’est pas qu’une question d’investissements publics : il faut plus de discipline de la part des entreprises », conclut-il.