Après plusieurs semaines d’accalmie, les prix du gaz naturel en Europe connaissent une nouvelle poussée, portés par un resserrement de l’offre mondiale de GNL et une demande asiatique en hausse. Si l’hiver s’est globalement bien déroulé, la reconstitution des stocks reste lente et l’approvisionnement pour l’hiver prochain soulève de nombreuses incertitudes.
Une sortie d’hiver moins tendue, mais un stock à reconstruire
Grâce à une météo plus clémente que prévu, l’Europe a traversé la saison froide sans tensions majeures sur les prix. Toutefois, le taux de remplissage des stocks de gaz dans l’Union européenne reste inférieur à la moyenne des cinq dernières années. Au 4 mai, les réserves n’étaient remplies qu’à 41,16 % en moyenne, avec des disparités notables entre les pays : 34,6 % pour l’Allemagne, 45,37 % pour la France, et 49,88 % pour l’Italie.
Des niveaux insuffisants pour envisager sereinement l’hiver prochain, alors que l’UE vise traditionnellement un seuil de 90 % de remplissage au 1er novembre.
La remontée des prix TTF au-delà de 33 €/MWh ( le TTF est l’indice néerlandais utilisé comme référence sur le marché du gaz en Europe) témoigne d’un certain regain de nervosité sur les marchés.
Plusieurs facteurs y contribuent : la demande mondiale est en hausse tandis que l’offre de gaz naturel liquéfié est réduite, en raison d’opérations de maintenance et d’ interruptions ponctuelles sur les flux norvégiens. En parallèle, les importateurs chinois sont revenus sur le marché, augmentant la concurrence pour les cargaisons de GNL disponibles.
Un marché désorganisé par des signaux de prix inversés
Le marché européen du gaz a connu une dynamique inhabituelle cet hiver : les prix à terme pour l’été ont dépassé ceux de l’hiver, une inversion qui a découragé les opérations classiques de stockage.
Habituellement, les acteurs achètent du gaz à bas prix en été pour le revendre en hiver (« cash and carry »). Cette logique s’est retrouvée fragilisée, freinant la reconstitution des stocks au moment même où les objectifs européens imposent des seuils intermédiaires stricts.
Face à cette situation, les autorités européennes envisagent un assouplissement temporaire de la réglementation, avec un objectif de stockage potentiellement abaissé à 83 %, assorti d’une marge de flexibilité selon les conditions de marché. Cette mesure, bien que pragmatique, témoigne d’un contexte où la sécurité d’approvisionnement ne peut être considérée comme acquise.
L’ombre persistante du gaz russe
Sur le plan géopolitique, la réduction de la dépendance au gaz russe demeure un enjeu sensible pour l’Europe. Malgré les mesures engagées depuis 2022, la Russie fournissait encore près de 20 % des importations de GNL de l’UE en 2024, juste derrière les États-Unis.
La France, en particulier, a fortement accru ses achats, avec une hausse de 81 % en un an. Ce paradoxe interroge, alors que la Commission européenne prépare une feuille de route pour éliminer totalement les achats de gaz russe d’ici 2027.
L’idée d’un embargo sur le GNL russe reste politiquement complexe, car elle nécessiterait l’unanimité des 27 États membres. Des options alternatives, telles qu’une augmentation des droits de douane, sont examinées pour freiner les volumes entrants sans recourir à une interdiction explicite.
Quoi qu’il en soit, la diversification des approvisionnements reste prioritaire, même si les tensions commerciales avec les États-Unis peuvent brouiller les perspectives du côté américain.
Une vigilance toujours de mise
En dépit d’un apparent retour au calme, les fondamentaux du marché du gaz européen sont donc fragiles. Le niveau des stocks, la structure des prix, les flux d’approvisionnement et les arbitrages géopolitiques forment un équilibre instable, sensible à toute dégradation conjoncturelle. L’Union européenne avance dans sa transition énergétique, mais la sécurité d’approvisionnement demeure un enjeu majeur à court terme.
Sophie-Charlotte MARTIN, Conceptrice-Rédactrice spécialisée
Titulaire d'un master 2 en Lettres Classiques, complété d'un master 2 en Communication et d'un cycle web marketing à la CCI de Lyon, Sophie-Charlotte est intervenue sur des sujets aussi B2C que B2B, on et off line.
Régulièrement confrontée aux problématiques tertiaires et industrielles, elle s'est spécialisée en énergie. Aujourd'hui, elle garantit au quotidien la direction et la production éditoriale de l'entreprise. Sophie-Charlotte MARTIN est Responsable éditoriale d'Opéra Energie.