ARENH : l’industrie demande des contrats long terme
Confrontés à l’incertitude du post ARENH, les industriels naviguent à vue. Une situation qui, si elle vient à perdurer, pourrait nuire à leur compétitivité sur la scène internationale et freiner leur transition verte. C’est ce qu’a expliqué, le 17 mai dernier, Philippe Darmayan, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.
Figure du monde industriel, Philippe Darmayan s’est vu confier la réalisation d’un rapport sur les contrats d’approvisionnement à moyen et long terme des industriels.
Plus de 200 entreprises et fédérations de grands consommateurs interrogées plus tard, celui qui a été, entre autres, à la tête d’Arcelormittal France et de l’UIMM, livre ses conclusions.
Sans visibilité sur les prix d’électricité long terme, il faut s’attendre à une perte de compétitivité
A l’heure de la réindustrialisation, fer de lance de la politique européenne comme nationale, la problématique est majeure. Comme le rappelle Philippe Darmayan, pour beaucoup de nos grandes industries, l’électricité est une matière première stratégique (aluminium, chlore…).
Pour ces industriels, le dispositif ARENH est un vrai atout et leur a permis de soutenir leur compétitivité. En 2021, la crise de l’énergie a rebattu les cartes, environ « 40 % de leurs achats d’énergie » ont été réalisés sur le marché à des prix extrêmement hauts. Malgré les aides de l’Etat, de nombreuses entreprises énergivores ont été contraintes de réduire leur production ou de fermer temporairement.
Aujourd’hui, les prix de l’énergie s’apaisent. Pour autant, les industriels ne sont pas moins inquiets : comment assurer un business model sur le long terme, socialement et économiquement, sans visibilité après 2025 interpelle Philippe Darmayan ? Déjà en 2012, l’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden), expliquait au Figaro que « Les industriels veulent d’abord de la visibilité dans l’approvisionnement, de la prévisibilité dans le prix et la possibilité d’obtenir des contrats de long terme ».
Il s’agit donc d’une nécessité qui ne date pas de la crise énergétique. En revanche, aujourd’hui, ce besoin devient critique alors que personne ne sait vraiment ce qui se passera après extinction de l’ARENH en 2025. « Fin décembre, il va falloir dire aux industriels et fournisseurs si oui ou non ils doivent sécuriser des volumes sur les marchés. Or, pour le moment, c’est la page blanche… » explique ainsi aux Echos une source proche des pouvoirs publics.
La décarbonation implique une bascule vers le tout électrique : à quel prix ?
Bruxelles a fixé comme objectif à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
En France, cela signifie une division par 6 de nos émissions de gaz à effet de serre. 20 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent de l’industrie : le secteur est le premier concerné par les enjeux liés à la décarbonation.
Dans son rapport Décarboner l’industrie sans la saborder (2022), le think tank The Shift Project met en exergue le « rôle tout particulier » de l’industrie : elle doit également « permettre aux autres secteurs de se décarboner via la production de biens et d’infrastructures nécessaires à leur transition (rails, bornes de recharge, pompes à chaleur, éoliennes, etc.), tout en faisant en sorte que cette production soit elle-même décarbonée. Le défi est donc d’une ampleur inédite. »
Les électro-intensifs seront plus nombreux
La chasse au carbone passe notamment par l’électrification. RTE estime d’ailleurs que les besoins en électricité de l’industrie vont atteindre 160 TWh en 2030 et pourraient grimper à 280 TWh en 2050, vs 150 TWh en 2019.
Pour l’industrie, cette transformation requiert des investissements « colossaux » souligne Philippe Darmayan. A titre d’exemple, ArcelorMittal vise une réduction de 40 % de ses émissions de CO2 en France d’ici 2030. L’entreprise lance ainsi la transformation de deux de ses sites, Dunkerque et Fos-sur-Mer, où seront mis en place des fours électriques d’ici 2027. Coût de l’opération : plus de 1,7 Md€.
Mais comment les entreprises peuvent-elles sereinement réaliser de tels investissements, électrifier leurs procédés, sans avoir de visibilité sur les prix de l’électron à long terme ?
« La décarbonation pour 2050 ne se fera que si les entreprises ont durablement accès à de l’énergie décarbonée à un prix compétitif et peuvent investir, et l’indépendance face à des acteurs mondiaux militairement ou économiquement agressifs. » interpellait en août dernier l’UNIDEN.
Mieux associer les électro-intensifs au financement des moyens de production
Il y a un mois, l’UNIDEN réagissait aux négociations sur la réforme du marché européen de l’électricité, demandant « la mise en place, en remplacement de l’ARENH pour les électro-intensifs, de contrats d’approvisionnement en électricité décarbonée compétitifs et sur le long terme, seuls à même de leur apporter la visibilité qui leur est vitale… »
« Les industriels demandent des prix connus sur 15 à 25 ans et sont prêts à s’engager sur ces durées, malgré les risques que comporte un engagement de long terme vis à du marché et des évolutions possibles » abonde Philippe Darmayan.
Une solution serait donc d’associer les gros consommateurs au développement des moyens de production via des contrats long terme.
Philippe Darmayan préconise une intégration verticale entre producteur et consommateur, « visant à faire rentrer les consommateurs dans un engagement sur le long terme vis-à-vis des prix de l’électricité ». Il ajoute que « les prix d’accès seraient fixés en distinguant ce qui relève du financement de la capacité et puis ce qui correspond au coût d’enlèvement de volumes avec une nouvelle référence fondée sur les coûts de production et non pas sur le marché. La CRE a fait un travail assez détaillé sur les coûts de production nucléaire qui permettraient à EDF d’avoir la rentabilité suffisante. Sur cette base on pourrait bâtir des contrats de long terme dans lequel des consommateurs amènent du cash pour les capex et bénéficient d’un prix opératoire déconnecté du marché. ».
Ces solutions existent à l’étranger, notamment pour les EnR, mais aussi en Finlande pour le nucléaire. C’est d’ailleurs cette solution qui a été choisie par EDF pour financer Flamanville avec le consortium Exeltium.
Cela permettrait l’émergence d’un signal prix long terme, bénéfique au développement des outils de production.
Réforme marché électricité européen : mettre en place des PPA sur le nucléaire
Philippe Darmayan plaide pour la mise en place d’une solution systémique « et non pas une solution de gré à gré entre EDF et quels consommateurs ». Il faudrait alors définir un certain nombre de données : les volumes concernés, l’assiette des centrales concernées, le mode du calcul du prix, quelle est la régulation de l’Etat sur ce calcul du prix, le partage des risques entre les exploitants et les consommateurs, quel traitement des risques de défaillance, quel traitement pour l’hydrogène…
Il demande aussi à ce que les fournisseurs alternatifs soient associés à cette solution, afin d’être en pleine conformité avec Bruxelles et de les soutenir dans leur politique de développement de production EnR. « Les politiques pourraient leur mettre un certain nombre d’obligations : vous bénéficiez d’un contrat long terme nucléaire à condition que vous développiez la production EnR à hauteur de tant de TWh ».
Les fournisseurs alternatifs peuvent être acteurs des contrats long terme appliqués au nucléaire
Dans le cadre du market design, « j’appelle à ce qu’on mette en place des groupes de travail entre les consommateurs, l’Etat, EDF, le régulateur et les fournisseurs alternatifs pour proposer des pistes qui iraient dans ce sens » déclare Philippe Darmayan. Les contrats pour différence (CFD) ne correspondent pas aux attentes des industriels en matière de visibilité long terme. Les CFD permettront une stabilité des prix à court terme, mais ils continueront à faire en sorte que l’ensemble de la production se retrouve sur le marché, par essence volatile.
« Il faut lever des incertitudes sur les PPA puisque Bruxelles ne dit pas explicitement que ces PPA peuvent être appliqués sur l’ensemble des moyens de production. Il faut que la France fournisse une proposition claire en la matière. » insiste Philippe Darmayan.
« La démonstration est possible : on peut constater que la part du marché d’EDF sur le segment des consommateurs industriels a baissé [elle représente 40%]. En même temps, on observe l’augmentation de la part des marchés des fournisseurs alternatifs. Cela devrait pouvoir convaincre la Commission européenne. Si les PPA enlèvent du marché court terme une partie de volumes, il faut dire qu’on sera aux alentours de 45 et 75 TWh qui est à peu près le niveau aujourd’hui utilisé par l’ARENH. Ce serait une garantie qu’on pourrait donner à Bruxelles », conclut-il.