Dispositif ARENH, retour sur l’un des points d’achoppement entre Paris, Bruxelles et EDF
La refonte du mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) est au cœur des négociations avec Bruxelles et étroitement liée à l’avenir d’EDF. Soucieux de décrypter le marché de l’énergie pour les consommateurs, Opéra Energie souhaite offrir des éléments de compréhension. Julien Teddé, DG d’Opéra Energie, prend la parole et livre sa grille de lecture.
ARENH, un dispositif né des spécificités du marché français de l’électricité
Pour comprendre ce qu’est l’ARENH, il est nécessaire de revenir sur l’histoire du marché de l’électricité en France. Suite aux crises pétrolières des années 70, la France a souhaité s’orienter vers l’indépendance énergétique en investissant massivement dans la production d’énergie nucléaire. Entre la fin des années 70 et la fin des années 90, 58 réacteurs (via 19 centrales électriques) ont été mis en service.
Aujourd’hui, le nucléaire représente environ 75% de la production d’électricité en France. Ces centrales étaient financées par les consommateurs français, à l’époque où EDF était en monopole. Aujourd’hui, le coût de cette production nucléaire historique est amorti depuis de nombreuses années : il est donc relativement faible.
Cependant, depuis le début des années 2000, le marché de la fourniture d’électricité est ouvert à la concurrence. EDF reste le seul producteur nucléaire, mais se trouve en concurrence avec des fournisseurs alternatifs d’électricité.
L’ARENH est alors mis en place en 2010 avec pour objectif de partager la rente nucléaire historique avec tous les consommateurs, qu’ils soient clients d’EDF ou non.
Ainsi, EDF doit céder jusqu’à un quart de sa production nucléaire à ses concurrents, à un prix censé refléter les coûts de production historiques (42 € / MWh du 1er janvier 2012 à aujourd’hui).
Chaque année, les fournisseurs alternatifs ont ainsi le droit de commander des volumes d’ARENH à EDF, en fonction de leur portefeuille clients. En fin d’année, le gestionnaire de réseau RTE vérifie que chaque fournisseur n’a pas demandé trop d’ARENH par rapport à ses droits réels. Si un fournisseur commande trop d’ARENH, il doit rembourser une franchise. Si la différence est trop grande, il y a même une pénalité !
Attention cependant : il y a un plafond de 100 TWh d’ARENH par an, soit environ un quart de la production nucléaire annuelle. À la fin de 2020, 81 fournisseurs ont demandé plus de 146 TWh d’électricité. Chaque fournisseur alternatif n’a pu recevoir que 68,39% de sa demande. C’est ce qu’on appelle l’écrêtement et les fournisseurs alternatifs doivent alors se couvrir sur le marché.
Pour mémoire, l’ARENH est censé être un dispositif transitoire qui prendra fin en 2025.
Comment a été déterminé le prix de l’ARENH ?
Le prix de l’ARENH a été fixé à 42 €/ MWh. Il est censé tenir compte des coûts d’exploitation d’EDF, d’un retour sur investissement et d’une provision pour démantèlement. Est-il juste ? En 2010, la Cour des comptes a en effet estimé le coût de production du nucléaire historique à 49,5 €/ MWh. En revanche, certains fournisseurs alternatifs avancent un coût plus proche des 35 €/ MWh.
En fin de compte, ce prix s’apparente davantage à un choix politique, ainsi que semble le dire Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie, lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 4 avril 2019 : « Pourquoi 42 ? Parce que pas 43, c’est pourquoi. À un moment donné, il y a une décision qui a beaucoup de technique, et puis un gars dit que c’est comme ça ».
Un prix qui, quoi qu’il en soit, ne reflète plus la réalité actuelle. En effet, en 2017, la mise en place du mécanisme de capacité a fait baisser le prix de l’ARENH, puisque l’ARENH comprend un transfert gratuit de garanties de capacité. Ainsi, depuis cette date, le prix non officiel de l’ARENH n’est plus de 42 € mais bien de 42 € moins le prix de la garantie de capacité.
Autrement dit, il est d’environ 38 €/ MWh.
Quelle impact l’ARENH a-t-elle eu sur le marché ?
Le mécanisme ARENH a permis l’ouverture du marché à la concurrence et, donc, la mise en conformité avec les attentes européennes.
Aujourd’hui, l’opérateur historique EDF détient une part de marché de 75% sur le marché BtoC et de 50% sur le BtoB (en volume) avec 75% en nombre de points de livraison. Une belle réussite, d’un point de vue français « habitué aux monopoles ».
L’ARENH devait également continuer à faire bénéficier les consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire. Pari réussi, puisque en 2019 le prix moyen du MWh payé par un ménage français était inférieur de 23% à la moyenne de la zone euro.
Si la facture d’électricité grimpe, cela est à chercher ailleurs que du côté de l’ouverture à la concurrence : il faut plutôt regarder du côté des taxes et des coûts réglementaires.
Enfin, le dispositif devait inciter les nouveaux entrants à construire leurs propres moyens de production. Or, on reproche souvent aux fournisseurs alternatifs de ne pas avoir joué le jeu de l’ARENH et de ne pas avoir investi dans la production d’électricité.
Ce n’est pas tout à fait vrai : ils l’ont fait chaque fois que c’était possible, dans les énergies renouvelables (éolien, solaire) et dans les centrales à gaz. Ce n’est un secret pour personne : construire des centrales nucléaires ou des barrages hydrauliques est aujourd’hui compliqué en France … Par ailleurs, comme la consommation d’électricité stagne en France depuis plus de 10 ans, le besoin de nouveaux actifs de production reste limité.
EDF vent debout contre l’ARENH
En 2019, lors d’une audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, n’a pas hésité à qualifier l’ARENH de « réel danger » et de « principal handicap » d’EDF. L’ARENH est en effet un réel problème pour EDF car le mécanisme est à son désavantage :
- si les prix de gros dépassent le prix de l’ARENH, EDF vend au prix de l’ARENH,
- si les prix de gros sont inférieurs au prix de l’ARENH (c’était le cas entre 2015 et 2017), personne ne commande à l’ARENH et EDF doit vendre sa production sur le marché, à bas prix.
Surtout, le prix de 42 € / MWh ne permet pas à EDF d’envisager le financement de nouveaux réacteurs. C’est pourquoi la réforme ARENH est nécessaire à toute réforme d’EDF et, plus largement, à toute réforme de la politique nucléaire française.
Les fournisseurs alternatifs partagés sur le sujet
Comme nous l’avons dit, l’ARENH a permis à des fournisseurs alternatifs de prendre des parts de marché à EDF, ce qui est donc une bonne chose pour eux. Cependant, l’ARENH présente de nombreux défauts.
Tout d’abord, il s’agit d’un mécanisme très complexe, bureaucratique et administratif, avec des risques importants en cas de mauvaises prévisions de consommation. Par exemple, si un fournisseur commande trop peu d’ARENH, il sera à court et aura du mal à se réajuster. Mais s’il en commande trop, il devra payer une régularisation, voire une pénalité. Le problème de la « force majeure » en 2020 est lié à cela.
EDF, quant à lui, n’a pas à supporter ces contraintes ni ces risques.
Mais la principale critique des fournisseurs alternatifs est que le prix de l’ARENH peut changer chaque année, éventuellement sans avertissement. Or le manque de visibilité des prix est un réel problème pour leurs clients.
Depuis 2013, des rumeurs circulent chaque année selon lesquelles le gouvernement français et la Commission européenne se sont mis d’accord sur un nouveau prix ARENH. Sans que rien ne change.
Enfin, le plafonnement peut aussi causer chaque année de mauvaises surprises aux clients… qui se plaignent auprès de leurs fournisseurs alors que ces derniers ne peuvent rien y faire.
Quels changements se profilent pour l’ARENH ?
Entre Paris et Bruxelles, les négociations sont toujours en cours et plusieurs scénarios ont déjà été posés sur la table. Il y a tout juste un an, l’un d’eux semblait sur le point d’aboutir, l’introduction d’un corridor de prix. Mais l’idée a fait long feu, remplacée aujourd’hui par l’augmentation du taux fixe.
La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) recommande un prix de 48 € / MWh mais EDF estime que le juste prix serait de 53 € / MWh.
Une telle hausse de prix irait de pair avec une augmentation du volume de l’ARENH (on parle de 150 TWh), voire une refonte plus profonde du mécanisme.
Cette augmentation pourrait être acceptable à deux conditions :
– qu’elle permette de financer la construction de nouveaux réacteurs
– qu’elle soit planifiée plusieurs années en avance afin de donner de la visibilité aux consommateurs.
Et si l’on s’orientait vers une « contribution de l’énergie nucléaire historique » ?
Pourquoi ne pas imaginer opter pour la rédaction d’un contrat de différence, dans le sens de ce qui est prévu pour Hinkley Point ? Le principe est simple : la production nucléaire est vendue sur les marchés. Si le prix de référence est inférieur à un prix d’exercice (à définir), l’Etat rembourse la différence. Sinon, le producteur paie le surplus à l’État.
On pourrait même imaginer un lien direct entre la production nucléaire et les consommateurs en montrant ces différences sur les factures d’électricité.
Appelons cela une « contribution de l’énergie nucléaire historique ».
En cas de hausse du marché, les bénéfices réalisés par les centrales nucléaires limiteraient ainsi l’augmentation de la facture des entreprises et des ménages français. En cas de forte baisse, les Français seraient rappelés, via leurs factures d’électricité, à la nécessité de financer leurs installations de production historiques.
Cette contribution atténuerait ainsi les effets du marché : un bonus si le prix du marché est élevé, une pénalité dans le cas contraire. Ce malus serait alors justifié par la nécessité de couvrir les coûts de l’énergie nucléaire existante.
En tout état de cause, cette contribution apparaîtrait clairement comme un partage de la rente nucléaire, et des risques associés, avec les Français. Cela permettrait à tous les citoyens de mieux comprendre leur facture d’électricité et l’intérêt de notre parc nucléaire historique.
(Retrouvez l’interview de Julien Teddé à ce sujet sur Montel Weekly)