Décarbonation : l’ambition européenne en suspens

L’Union européenne à la traîne sur ses objectifs
Alors que les enjeux climatiques tendent à s’effacer de l’agenda international, l’Union européenne semble elle aussi s’enliser. Bruxelles tarde à enclencher les négociations autour de son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2040. La Commission européenne, pourtant restée fidèle sur le papier à ses ambitions, propose une baisse de 90 % des émissions de CO2 par rapport à 1990. Mais plus d’un an après la formulation de cette recommandation, aucune discussion n’a encore été engagée entre les 27 États membres.
La proposition n’était même pas à l’ordre du jour de la réunion des ministres de l’Environnement à Bruxelles ce jeudi. La Commission promet de présenter une version formelle « dès que possible » pour apporter de la « prévisibilité » aux industriels, selon Teresa Ribera, vice-présidente chargée de la transition écologique. Mais ce retard alimente les critiques : « Plus l’UE attend, plus il devient difficile de justifier cette lenteur sur la scène internationale », alerte Linda Kalcher, directrice du think tank Strategic Perspective. Ce flottement risque de fournir un prétexte à d’autres pays pour justifier leur propre immobilisme.
L’Union européenne a d’ailleurs déjà manqué une échéance clé : la soumission de sa feuille de route climatique (NDC) pour 2035, attendue en février. Simon Stiell, secrétaire exécutif de l’ONU Climat, a insisté cette semaine sur l’urgence de voir l’Europe produire un plan solide. La Commission répond que cette feuille de route dépendra de l’objectif pour 2040, et que tout sera prêt pour la COP30, prévue en novembre au Brésil. « Nous continuerons à jouer un rôle de premier plan », assure un porte-parole. Mais cette confiance affichée ne dissipe pas les doutes.
La France mise sur la décarbonation industrielle
Plusieurs voix estiment que l’inaction de la Commission est d’abord politique. « Elle n’ose pas ouvrir les négociations », affirme Caroline François-Marsal, du Réseau Action Climat, qui dénonce un manque de volonté dans un contexte international tendu depuis le retrait américain de l’accord de Paris. Certains suggèrent que la situation pourrait évoluer en juillet, lorsque la Pologne – peu favorable à une accélération climatique – cédera la présidence tournante du Conseil à un pays plus engagé, le Danemark.
Mais l’inquiétude grandit face au risque d’un effet domino. L’eurodéputé vert Michael Bloss interpelle : « La Commission doit prouver qu’elle poursuit l’agenda climatique ». Il dénonce également l’ambiguïté française, alors que Paris ne s’est pas positionné clairement sur la cible des 90 %. La France préfère exiger des engagements concrets, notamment en matière de décarbonation industrielle, avant de valider un objectif chiffré. « Il faut que cet objectif repose sur des trajectoires réalistes », a défendu la ministre Agnès Pannier-Runacher.
En Italie, le gouvernement de Giorgia Meloni plaide pour un objectif moins ambitieux, autour de 80 ou 85 %, afin d’éviter des mesures jugées trop radicales. La République tchèque, attachée à la protection de son industrie lourde, considère la cible des 90 % comme irréaliste. Le Parlement européen est désormais plus fracturé, et certains de ses membres déplorent la « focalisation excessive sur 2040 », au détriment de l’échéance plus proche et obligatoire de 2035.
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a récemment lancé son nouveau mandat avec des annonces de « simplification » des contraintes environnementales pour les entreprises. Malgré ses déclarations en faveur du climat, les ONG dénoncent un détricotage progressif du Pacte vert. La manière dont sera menée la négociation autour de 2040 pourrait bien devenir le test ultime de la véritable ambition climatique de l’Europe.