Alors que les stocks de gaz sont inférieurs à leur niveau moyen et que la production renouvelable reste incertaine, un hiver rigoureux pourrait provoquer une envolée des prix de plus de 30 % en Europe.
Des stocks en baisse de 7 à 8 points sous la moyenne
Les signaux d’alerte se multiplient à l’approche de la saison froide. Les stockages européens de gaz atteignent seulement 83 %, contre 88 % en moyenne entre 2016 et 2021, selon Gas Infrastructure Europe (GIE). En Allemagne, premier marché du continent, ils plafonnent à 75,5 %, tandis qu’en France, mieux lotie, ils frôlent 92,5 %. Ces niveaux demeurent inférieurs à l’objectif européen de 90 % de remplissage obligatoire avant le 1er décembre. « Le stockage reste un élément clé : c’est lui qui offre le tampon nécessaire face aux imprévus », rappelle Victor Del Carpio, chercheur principal chez Aurora Energy Research, soulignant que le niveau actuel « n’est pas idéal ».
Les analystes redoutent qu’un hiver « très froid », avec des températures de 2 à 4°C inférieures à la normale, fasse bondir les prix du gaz néerlandais TTF de 32-34 €/MWh à près de 43 €/MWh. Dans un scénario de tension extrême, combinant froid persistant et ruptures d’approvisionnement, les prix pourraient même dépasser ponctuellement les 150 €/MWh. « Les réserves sont déjà faibles. S’il fait froid, on aura vraiment un problème », avertit un trader. En cas de vague de froid généralisée, Christian Heintz, consultant indépendant chez Wideangle LNG, redoute un scénario où « tout le monde veut acheter en même temps (…) et on se retrouvera avec du GNL extrêmement cher, voire avec un manque de GNL ».
Malgré tout, les premières prévisions évoquent un hiver relativement doux, entrecoupé de quelques épisodes de froid. Une situation qui pourrait limiter les tensions, d’autant que l’Europe s’appuie désormais sur des sources plus diversifiées : le gaz norvégien demeure la principale voie d’approvisionnement du nord-ouest du continent, sans risque majeur de perturbation, selon Anders Malm, vice-président chez Gasum.
« un hiver rigoureux pourrait faire grimper les prix de 37 %, tandis qu’un hiver doux les ferait baisser d’environ 11 % »
Le GNL et la météo, arbitres d’un marché sous tension
La sécurité d’approvisionnement européenne repose de plus en plus sur le GNL dont les importations se sont accrues grâce à de nouvelles capacités américaines. « L’Europe reste bien approvisionnée, mais la demande asiatique de GNL sera déterminante pour les prix cet hiver », explique Christoph Halser, analyste senior chez Rystad Energy. Pour un énergéticien français, « si les importations de GNL en Europe continuent d’augmenter dans les prochaines semaines, cela contribuera à préserver les stocks et enverra un signal clair d’un retour vers des prix pré-crise ».
Néanmoins, la situation reste fragile : les pays baltes, par exemple, n’affichent qu’un taux de remplissage de 60 % à Incukalns, soit 15 points sous la moyenne saisonnière, un effet de la backwardation — lorsque les prix futurs sont inférieurs aux prix actuels, décourageant le stockage.
Sur le plan géopolitique, les tensions liées à la guerre en Ukraine continuent de planer. Anne-Sophie Corbeau, chercheuse à l’Université Columbia, estime que « le risque de sabotage des infrastructures est le plus important, surtout avec toutes ces histoires de drones », citant notamment le gazoduc TurkStream, vital pour l’Europe du Sud-Est.
Dans un contexte où chaque incident sur les interconnexions ou les centrales électriques pourrait peser lourd, la météo jouera le rôle d’arbitre. Comme le résume Matteo Mazzoni, directeur de l’analyse énergétique chez ICIS, « un hiver rigoureux pourrait faire grimper les prix de 37 %, tandis qu’un hiver doux les ferait baisser d’environ 11 % ».
L’Europe, mieux armée qu’il y a deux ans grâce à une hausse de 10,9 Gm³ de ses capacités de GNL, n’en demeure pas moins dépendante des caprices climatiques — et d’un équilibre fragile entre réserves, interconnexions et stabilité géopolitique.
Source : Montel
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.