Gaz : nouveau bras de fer entre l’Europe et la Russie
Mardi soir, le géant gazier Gazprom a annoncé couper ses livraisons de gaz à destination de la Bulgarie et de la Pologne dès ce 27 avril. Ces deux pays, membres de l’OTAN et de l’Union européenne, n’auraient pas effectué de paiements en rouble.
Moscou accroît la pression énergétique sur l’Europe
Comme le rappelle le média spécialisé Montel, la Pologne et la Bulgarie dépendent à environ 50% et 90%, respectivement, du gaz russe pour leurs approvisionnements. Les deux pays n’ont pas tardé à prendre la parole pour rassurer leurs populations, expliquant s’être préparés à cette éventualité. «Il n’y aura pas de pénurie de gaz dans les foyers polonais», a ainsi déclaré sur Twitter la ministre polonaise du Climat, Anna Moskwa, ajoutant que «Depuis le premier jour de la guerre, nous avons déclaré que nous étions prêts à une indépendance totale vis-à-vis des matières premières russes».
Bruxelles prépare une réponse coordonnée
Plus largement, c’est toute l’Europe qui est prête à renoncer au gaz russe, ainsi que l’explique ce mercredi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen : « L’annonce de Gazprom est une nouvelle tentative de la Russie de nous faire du chantage au gaz. Nous sommes préparés à ce scénario. Nous élaborons notre réponse européenne coordonnée. Les Européens peuvent être sûrs que nous sommes unis et solidaires avec les États membres touchés »
Ce rebondissement fait craindre de nouvelles tensions sur les prix de l’énergie, alors même que la Banque mondiale vient d’alerter sur la dynamique haussière du marché. Dans son rapport publié mardi 26 avril, la Banque mondiale annonce ainsi que les prix des matières premières « resteront à des niveaux historiquement élevés jusqu’à la fin de 2024 » et « Les prix de l’énergie devraient augmenter de plus de 50 % en 2022 avant de diminuer en 2023 et 2024. » Et les prix pourraient encore progresser « en cas de guerre prolongée ou de sanctions supplémentaires à l’encontre de la Russie ».
Des niveaux de prix de l’énergie inédits qui impactent tous les marchés
Le déclenchement de la guerre en Ukraine a entraîné de très fortes augmentations des prix du gaz naturel et du charbon, étant donné l’importance primordiale de la Russie en tant exportateur de ces deux combustibles, note le rapport. En mars 2022 les prix européens du gaz naturel ont ainsi bondi de plus de 50 % par rapport à février pour atteindre un niveau record et étaient presque sept fois plus élevés qu’en mars 2021. Atteignant des sommets historiques, les prix du gaz naturel devraient être deux fois plus élevés en 2022 qu’en 2021, tandis que les prix du charbon devraient être 80 % plus élevés.
Le prix du pétrole n’est pas en reste. Le Brent devrait atteindre une moyenne de 100$/b en 2022, son plus haut niveau depuis 2013 et une augmentation de plus de 40 % par rapport à 2021. « Les prix devraient se modérer à 92 dollars en 2023 – bien au-dessus de la moyenne sur cinq ans de 60 dollars le baril ».
L’augmentation des prix de l’énergie au cours des deux dernières années a ainsi été la plus importante depuis la crise pétrolière de 1973.
Et les hausses de prix des produits alimentaires (dont la Russie et l’Ukraine sont de grands producteurs) et des engrais, qui dépendent du gaz naturel comme intrant de production, ont été les plus importantes depuis 2008.
« Les marchés des produits de base subissent une pression énorme, certains prix des produits de base atteignant des sommets historiques en termes nominaux », analyse John Baffes, économiste principal au sein du groupe Prospects de la Banque mondiale.
« Cela aura des effets d’entraînement durables. La forte hausse des prix des intrants, tels que l’énergie et les engrais, pourrait entraîner une réduction de la production alimentaire, notamment dans les économies en développement. La moindre utilisation des intrants pèsera sur la production et la qualité des aliments, ce qui affectera les disponibilités alimentaires, les revenus ruraux et les moyens de subsistance des pauvres. »
Une crise énergétique partie pour durer
L’analyse révèle que l’impact de la guerre pourrait être plus durable que les chocs précédents pour au moins deux raisons. D’une part, il est moins facile aujourd’hui de remplacer les produits énergétiques les plus touchés par d’autres combustibles fossiles, car les augmentations de prix ont été généralisées à tous les combustibles.
D’autre part, l’augmentation des prix de certains produits de base entraîne également la hausse des prix d’autres produits de base : les prix élevés du gaz naturel ont par exemple fait augmenter les prix des engrais, exerçant une pression à la hausse sur les prix agricoles.
La Banque mondiale questionne aussi la pertinence des réponses politiques actuelles.
Les gouvernements ont en effet privilégié les réductions d’impôts et les subventions, des actions « qui exacerbent souvent les pénuries d’approvisionnement et les pressions sur les prix ». Le rapport les invite à davantage réfléchir à des mesures à long terme « visant à réduire la demande et à encourager les sources d’approvisionnement alternatives ».