Hausse du prix du nucléaire : une bonne nouvelle pour les consommateurs ?
Le 20 septembre 2023, le Ministère de la transition énergétique a publié un rapport demandé en mars à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Dans ce rapport, le Régulateur revoit à la baisse les coûts de production estimés par EDF. L’Electricien historique voit rouge.
Un rapport pour préparer le post ARENH
Ce rapport doit permettre au gouvernement de travailler « à une nouvelle régulation du marché de l’électricité post-2025 », c’est-à-dire de dessiner l’après l’ARENH. Attention, cependant, « aucune corrélation directe quant au prix de l’ARENH pour 2024 et 2025 ne peut être inférée de ces travaux. » insiste la CRE.
En effet, l’ARENH est un « objet fondamentalement différent » tant en termes de période visée (2010-2025 contre 2026-2040), de type de produit (produit optionnel incluant la capacité contre ruban ferme d’énergie), de périmètre (Flamanville 3 n’est pas au périmètre de l’ARENH) ou de volume (100 TWh hors pertes pour l’ARENH).
Un coût de production du nucléaire inférieur à celui annoncé par EDF
Le coût complet du nucléaire existant calculé par la CRE s’élève respectivement à :
– 60,7 €22/MWh sur la période 2026-2030,
– 59,1 €22/MWh sur 2031-2035,
– et 57,3 €22/MWh sur 2036-2040.
« Cette estimation (…) tient notamment compte des charges d’exploitation, des investissements sur le parc existant (poursuite d’exploitation, y compris le grand carénage), de la gestion des matières et déchets nucléaires, des coûts de post-exploitation et d’investissements dans le projet de construction de l’EPR de Flamanville 3 », explique le ministère. En revanche, ces calculs n’intègrent pas les investissements dans les nouveaux EPR.
Quoi qu’il en soit, les chiffres de la CRE sont bien plus bas que ceux présentés par EDF. L’Électricien historique évalue en effet ses coûts de production à :
– 74,80 €/MWh sur la période 2026-2030,
– 73,90 €/MWh sur 2031-2035
– et 69,90 €/MWh sur 2036-2040.
Pourquoi les chiffres de la CRE et d’EDF diffèrent ?
Les calculs de la CRE se basent sur une régulation de la totalité de la production nucléaire
La CRE n’a pas souhaité reprendre le cadre réglementaire adopté par EDF. Dans ses calculs, EDF adopte une approche d’exposition totale au marché pour sa production nucléaire, tandis que la CRE se base sur l’hypothèse d’une régulation des actifs nucléaires reposant sur un prix de vente garanti par l’État, ainsi que le souhaite ce dernier.
Selon la CRE, c’est bien le cadre non régulé défendu par EDF qui « constitue le facteur prépondérant d’écart entre le coût présenté par EDF et celui retenu par la CRE, en raison de son impact sur le Coût Moyen Pondéré du Capital (CMPC) ».
Traduction : passer à un cadre régulé à prix fixe baisse le niveau de risques, donc la rémunération du capital engagé et in fine le coût de production.
Une trajectoire de production nucléaire qui fait débat
Par ailleurs, la CRE et EDF ne s’accordent pas non plus sur « la trajectoire prévisionnelle de productible nucléaire ».
La trajectoire de productible considérée par la CRE s’élève à 361,5 TWh par an sur la période 2026- 2030, 360,2 TWh par an sur 2031-2035 et 344,1 TWh par an sur 2036-2040.
Des chiffres retoqués par le producteur historique. EDF intègre une marge de prudence d’environ 18 TWh par rapport à 2020 (335 TWh), en anticipant notamment les risques liés au vieillissement de son parc nucléaire.
Pour la CRE, cette prudence manque d’objectivité. Le Régulateur propose donc une trajectoire de production qu’il estime être plus cohérente avec les réalités observées, compte tenu de la corrélation étroite entre le coût de production et le niveau de production attendu.
Pour RTE, la France devrait viser 400 TWh à l’horizon 2035
Les niveaux de production publiés par la CRE sont en ligne avec ceux présentés par RTE dans son dernier bilan prévisionnel du 20 septembre. Le Gestionnaire de réseaux table sur « un volume moyen de production de l’ordre de 360 TWh/an à l’horizon 2030-2035, en intégrant l’EPR de Flamanville ».
RTE précise cependant que retrouver la production moyenne de la décennie 2010 serait le scénario le plus « souhaitable » pour la France. Cette moyenne s’élevait à 400 TWh/an.
Au diapason de RTE, l’UNIDEN souligne que « la maximisation du niveau de productible sera capital pour répondre à la forte hausse des besoins d’électricité du fait de l’électrification des usages (décarbonation des procédés industriels, véhicules électriques, etc.) d’ici 2050 dans des conditions de prix soutenables pour l’économie et les ménages. »
Bien plus, « l’évolution du productible est un facteur clé pour celle du coût : 10 TWh de production supplémentaire permettent une baisse du coût de 1,6€/MWh. » calcule l’association des industriels grands consommateurs d’énergie.
L’EPR de Flamanville en question
EDF et la CRE s’opposent encore quant la puissance maximale que les réacteurs du site de Flamanville pourront fournir. EDF estime que cette pleine puissance de 1 630 MW ne sera atteinte qu’en 2035, soit huit ans de plus que ce qui avait été annoncé.
La CRE s’inscrit en faux, « ce délai n’est pas étayé ni par le cadre réglementaire, qui autorise l’installation à fonctionner à sa pleine puissance à l’issue de la phase d’essais et dans la limite de sa puissance thermique maximale, ni par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui ne prévoit aucune échéance aussi lointaine pour examiner ce dossier ». Le Régulateur retient l’hypothèse d’un passage à pleine puissance en 2028.
Une mauvaise nouvelle pour EDF, une bonne pour les consommateurs ?
La nouvelle évaluation de la CRE est supérieure à celle qu’elle avait émise en 2020. La CRE avait alors estimé les coûts complets de la production nucléaire aux alentours de 48€/MWh. Dès lors, pourquoi cette revalorisation est venue alimenter les tensions entre EDF et le gouvernement, ainsi que l’ont rapporté plusieurs sources proches du dossier ? Tout simplement, parce que ces chiffres viennent contrecarrer le plan de développement de Luc Rémont, PDG de l’électricien historique depuis fin 2022.
De nouveaux leviers de négociation pour les industriels
Luc Rémont ambitionne de développer des contrats de long terme de gré à gré avec de grands clients, industriels comme fournisseurs alternatifs, suivant des logiques de marché, c’est-à-dire en fixant ses prix de manière plus libre.
Cela permettrait notamment au groupe, endetté à hauteur de 60 mds d’euros, de financer ses investissements dans de nouveaux moyens de production.
Si rien n’avait encore été annoncé, de bruyants bruits de couloir affirmaient que l’électricité concernée par ces contrats se négocierait aux alentours de 100 €/MWh. Un prix bien supérieur aux coûts présentés dans le dernier rapport de la CRE !
Cette dernière a en effet retenu un coût complet du ruban de l’électricité nucléaire de 56,7€22/MWh sur 2026-2030, 55,1€22/ MWh sur 2031-2035 et 53,2€22/MWh sur 2036-2040.
« Ce « ruban d’énergie » correspond au profil de consommation dit « base load » des industries électro-intensives, à la fois prévisible et régulier. C’est sur le lien étroit entre industries consommatrices en base et parc électronucléaire qu’ont reposé, ces cinquante dernières années, des contrats de fourniture d’électricité de long terme et compétitifs, permettant à EDF de développer le parc nucléaire et aux industriels de disposer de la visibilité nécessaire à leur activité. » précise l’UNIDEN.
L’association ne cache d’ailleurs pas son soulagement, tant les inquiétudes sont vives, parmi les industriels les plus énergivores, « dont les concurrents mondiaux s’approvisionnent à des prix entre 40 et 80 $/MWh en Chine, et 30 à 50 $/MWh aux Etats-Unis… ».
Mais aujourd’hui, EDF va avoir du mal à faire signer des industriels au-dessus des chiffres publiés par le CRE.