« Un manque de vision stratégique pour le photovoltaïque, en France »
En 2024, le secteur de la transition énergétique a connu un net ralentissement après deux années de forte croissance. Mladena Pavlova Joveski, du cabinet de conseil LCP Delta, nous éclaire sur les raisons de cet essoufflement dans les filières du photovoltaïque et des pompes à chaleur.
Opéra Energie : Très récemment, LCP Delta a publié une série d’articles sur l’état de la transition énergétique et son ralentissement. Quelle est l’ampleur de la situation ?
Mladena Pavlova Joveski : Chez LCP Delta, nous avons publié une série d’articles qui analysent le ralentissement de la transition énergétique sur les 18 derniers mois et qui explorent les voies par lesquelles le marché peut se repositionner pour retrouver la dynamique passée. L’un des objectif est d’atteindre le grand public. Or, aujourd’hui, la transition énergétique est toujours dans la phase où ses clients sont des « early adopters » [ou « acheteurs pionniers »].
Le marché des pompes à chaleur a connu deux années exceptionnelles (2022-223) avec, notamment, une hausse des ventes de 54% en 2022, à l’échelle européenne. Mais le marché des PAC a connu une forte baisse en Europe depuis fin 2023, s’accentuant en 2024. Concrètement, en France, nous avons eu une baisse de 26% de 2024 comparé à 2022 des ventes annuelles des PAC au total. Concernant le photovoltaïque, après une croissance de +46% en 2023, l’Europe a enduré une glissade de 21% des ventes en 2024. Ce qui est notable, c’est que le marché du photovoltaïque français était, lui, en croissance contrairement au reste de l’Europe. La réalité réside dans le faible développement du photovoltaïque en France, du fait des prix bas de l’électricité et du manque de politiques incitatives – le solaire français n’a donc pas subi le contre-coup des années de forte croissance de ses voisins.
OE : Sur ce point, Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Energie a récemment affirmé vouloir limiter les aides et revoir à la baisse les objectifs liés au solaire – face au risque de surproduction provoqué par l’électrification des usages. Le développement du photovoltaïque ne semble pas la priorité du gouvernement.
MPJ : Oui et il y a des réactions de la part des acteurs de la filière. Il faut un équilibre des énergies, prioriser mais pas les opposer. C’est difficile à dire au moment où l’on se parle et il y a de l’incompréhension. Met-on en péril la filière au moment où elle devait retrouver une certaine dynamique ? Il semble y avoir un manque de vision stratégique sur le photovoltaïque dans l’hexagone. Nous sommes à 5% d’adoption seulement sur le potentiel total du photovoltaïque résidentiel. Ce marché, en France, devrait connaître une période de transition en 2025, en raison des ajustements annoncés des aides publiques. Cependant, le marché d’ici à 2030 devrait rester stimulé par la hausse des prix de l’électricité de détail dans les segments résidentiel, tertiaire et l’autoconsommation collective, un secteur en pleine expansion qui doit bénéficier d’un cadre réglementaire favorable et de frais de réseau réduits. La baisse annoncée du tarif d’achat entraîne une perte de visibilité pour les projets solaires, qui peuvent se tourner vers l’ACC pour retrouver cette visibilité.
OE : Quelle décision du gouvernement handicape le plus le photovoltaïque en France ?
MPJ : Incontestablement la politique des tarifs d’achat qui, de notre point de vue, met en danger la revente d’électricité sur les réseaux. Le pendant positif de cette décision c’est l’autoconsommation. Chez LCP Delta, nous avons un point de vue optimiste sur l’autoconsommation. Avec la baisse annoncée des aides, il va falloir valoriser l’énergie produite. L’autoconsommation collective change véritablement la donne avec un nouveau modèle d’affaires pour les entreprises puisqu’elle fait baisser les factures énergétiques.
OE : Revenons à la transition énergétique en général. Quels sont les facteurs expliquant son ralentissement ?
MPJ : On peut considérer que les années 2022 et 2023 furent des années exceptionnelles en termes de croissance et de déploiement des technologies. Pourtant, on estime qu’il faudrait beaucoup d’années avec des taux de croissance similaires pour atteindre les objectifs européens de décarbonation en 2030. La diminution des ventes que l’on a connue en 2024 s’explique principalement par l’atténuation de la crise énergétique ; le coût de la vie et la hausse des taux d’intérêt qui appliquent une pression financière sur les consommateurs et les entreprises ; enfin, la réduction des subventions – liée à l’instabilité des politiques publiques. Or, pour ce type de technologies les subventions sont indispensables. Sans compter que, comme je le disais, à ce stade de développement, la transition énergétique a essentiellement des early adopters. Donc la base clients des entreprises est restreinte pour offrir un amortissement suffisant face au ralentissement, ce qui a accentué l’impact ressenti par les entreprises.
OE : En parlant de taux d’intérêt, expliquez-nous ce que vous appelez « l’amère ironie de la crise de l’énergie », dans votre publication ?
MPJ : Une des principales raisons de la hausse des taux d’intérêt, qui a ralenti le secteur, est directement liée à l’inflation agressive des prix de l’énergie. Cette même inflation avait pourtant fortement stimulé la demande en 2022 et 2023, alors que les consommateurs cherchaient à réduire leur dépendance aux prix des énergies fossiles, notamment en installant des panneaux solaires photovoltaïques. Mais cette fois-ci pour aggraver la situation, d’où l’ironie, le ralentissement du secteur en plus des prix de l’énergie haut a également été accentué par deux autres facteurs : la jeunesse du marché et l’affaiblissement des politiques de soutien à la transition énergétique à travers l’Europe.
Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie