On compare souvent l’unité de méthanisation à une vache

Milène Fournier, ingénieure projets pour le bureau d’études Bio-Valo, nous éclaire sur la méthanisation, son fonctionnement, son rôle dans la transition énergétique ; mais également l’intérêt qu’elle revêt pour exploitants agricoles et industriels.

Opéra Energie : En quoi consiste le métier d’ingénieure projets méthanisation ?

Milène Fournier : C’est un terme un peu fourre-tout. Je travaille dans le bureau d’études Bio-Valo, basé dans le centre de la France. Bio-Valo est spécialisé dans le biogaz- et nous accompagnons tous les acteurs de la filière en France et à l’étranger dans leurs projets, qu’il s’agisse des projets de montage de méthanisation, des modifications réglementaires, des modifications techniques sur leurs installations, les analyses qu’ils doivent effectuer ou encore leur suivi biologique, parce que la méthanisation est un processus biologique. Chez Bio-Valo nous avons tous une formation en biologie. En ce qui me concerne, je suis ingénieur en génie biologique.

OE : Pouvez-vous nous définir la méthanisation ?

MF : La méthanisation est le nom du processus biologique qui a lieu dans la nature sans intervention de l’homme ; que ce soit dans les marais, les rizières, dans l’appareil digestif de certains ruminants comme les vaches. D’ailleurs, on compare souvent l’unité de méthanisation à une vache. La méthanisation c’est les matières organiques qui sont dégradées par des micro-organismes en l’absence d’oxygène et a température élevée ; 38°C dans la nature. Le tout produit un biogaz, du méthane (CH4).

OE : Profitons-en pour faire un point sur les termes à employer. Souvent, lorsqu’on traite de méthanisation, on utilise les mots « gaz vert », « biogaz », « biométhane », « biomasse », de manière interchangeable. Pourriez-vous y mettre de l’ordre pour nos lecteurs ?

MF : Commençons justement par le biogaz. Le terme « biogaz » fait simplement référence à un gaz d’origine naturelle. Il peut avoir une composition différente en fonction d’où il provient mais généralement, le biogaz est constitué à plus de 90% de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2). Il contient également de l’eau et autres composants, comme l’ammoniaque, le sulfure d’hydrogène (H2S) et l’azote (N), (entre 1% et 7%). Le procédé étant naturel, la présence de ces composants est normale.


Dans une unité de méthanisation, on va disposer les matières organiques dans une grosse cuve qu’on appelle un digesteur. Elles vont fermenter. Deux éléments vont être produits à partir de cette fermentation : le biogaz dont on vient de parler et le digestat. Le digestat est une espèce de pâte, le résidu, car un processus de méthanisation n’est jamais complet ; toutes les matières organiques ne se transforment pas en gaz. L’intérêt du digestat est qu’il est riche en azote et sera utilisé comme engrais.

OE : Qu’en est-il de la biomasse et du biométhane ?

MF : La biomasse se réfère à toutes les matières d’origines biologiques utilisées pour produire de l’énergie, comme les récoltes intermédiaires en agriculture, les déchets agricoles, des déchets de tontes de pelouses des collectivités, des déchets alimentaires que l’on récupère de la restauration collective., les déchets issus de l’industrie agroalimentaire, des déchets provenant de l’industrie cosmétique aussi, car elle utilise des composants végétaux qu’on peut récupérer. Il y a aussi le bois mais, lui, ne peut être exploité dans le processus de méthanisation car les bactéries ne le dégradent pas. Enfin, il y a les boues de stations d’épuration.

Le biométhane est la molécule qu’on va récupérer une fois qu’on a épuré le biogaz. Comme je vous le disais, le biogaz est composé de CO2 et de méthane. Cette composition peut avoir deux usages. D’abord, la cogénération, soit exploiter le biogaz pour l’électricité et la chaleur. C’est bien plus intéressant que de se contenter de brûler le biogaz. L’autre option est de bouturer le biogaz en biométhane, c’est-à-dire se défaire de la quasi-totalité du CO2 pour ne conserver que le méthane, nous donnant un gaz d’une qualité similaire au gaz de ville. Le biométhane et le gaz fossile sont identiques, mais le premier est produit naturellement. Tout comme le gaz fossile on peut l’injecter directement dans les réseaux GRDF. Par exemple, lorsqu’on souscrit à une offre de gaz vert, on paie plus cher pour permettre le développement de la filière et couvrir les coûts de production, mais on n’a pas forcément du gaz vert dans son tuyau, car on ne peut pas le dissocier du gaz fossile dans les réseaux. Cela signifie simplement que Engie, ou d’autres, produisent une certaine quantité de gaz vert qu’ils pourront mettre en vente.

OE : Question, dont la réponse paraît évidente : l’essentiel des unités de méthanisation se trouve sur des exploitations agricoles, n’est-ce pas ?

MF : Oui, une grande partie des gisements est agricole. Mais il y a deux éléments dont il faut tenir compte. Tout d’abord, il existe des unités dans le secteur industriel. C’est le fait des grands groupes. Ensuite, il y a une question de taille. Si les gisements sont majoritairement issus de l’agricultures, les unités agricoles sont, en moyenne, plus petites. Une unité territoriale ou une unité industrielle portée par un grand groupe sera bien plus grande. Du coup, l’usage ne sera pas le même. Certaines unités agricoles servent à la consommation de l’exploitation, d’autres injectent l’intégralité de leur production, notamment celles qui ne font pas d’élevage, mais de la culture. Les unités industrielles servent à chauffer des villes, par exemple. Donc, il y a plus d’unités agricoles en nombre, mais en quantités produites, les industriels pèsent peut-être plus lourd dans la balance.

OE : Vous venez d’en parler brièvement : quel est l’intérêt pour un agriculteur d’avoir son unité de méthanisation ? L’autoconsommation ?

MF : La méthanisation est une industrie en soi. Elle demande un investissement important en temps et en argent. Je ne dirais donc pas que l’autoconsommation est l’intérêt principal. L’autoconsommation est pertinente pour les gros bâtiments d’élevage. Il y a des agriculteurs possédant des élevages porcins qui se sont lancés dans la méthanisation pour valoriser le lisier. Cela étant dit, la première source de revenus pour une exploitation avec une unité de méthanisation c’est la vente d’énergie. Cette stratégie permet d’amortir environ 60% des investissements. Il existe bien d’autres raisons mais, tout dépend des unités. La vente du digestat ou l’injection en font partie.

OE : A quoi ressemble votre quotidien d’ingénieure projets méthanisation ?

MF : je suis plus spécialisée sur la partie réglementation. Je me concentre sur l’accompagnement de nos clients. En ce moment nous effectuons un important travail sur la certification RED2.

OE : RED2 ?

MF : Il s’agit d’une directive européenne sortie en 2018, arrivée en France en 2021, le temps qu’elle soit transcrite en droit français.  Cette directive oblige les unités de méthanisation à se certifier sur des exigences de durabilité des intrants et de réduction du gaz à effet de serre. Cela ne concerne pas que la méthanisation mais aussi toutes les filières de la chaleur, du froid, de l’électricité et des biocarburants. Avec RED2 on est en plein dans le processus de transition énergétique. Le but est d’avoir, un certain pourcentage d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, ainsi qu’une efficacité énergétique et une réduction des gaz à effet de serre. Chaque pays de l’Union européenne va mettre en place des schémas volontaires. Si l’année dernière toutes les unités de méthanisation se sont fait certifier -ainsi que les chaufferies, cette année, c’est au tour des négociants. C’est le gros de mon travail en ce moment.

Dans une moindre mesure, nous travaillons aussi sur la partie installations classées. En France, les unités de méthanisation sont considérées comme des installations classées pour la protection de l’environnement. Comme à peu près toutes les industries en France. C’est une réglementation française qui vise à réduire tous les accidents industriels et tout ce qui peut affecter les populations et l’environnement. C’est une sécurité des gens qui travaillent sur les sites en tant que tels. C’est la fameuse réglementation qui va aussi concerner les sites Seveso.

Chez Bio-Valo, nous sommes certifiés Qualiopi et nous assurons des formations pour les acteurs de la méthanisation. J’ai la charge de toute la partie qualité des formations. Nous avons formé des porteurs de projets, des personnes qui exploitent des unités de méthanisation, mais aussi des grandes entreprises dans le biogaz. Enfin, une réglementation ICPE obligatoire est délivrée par Bio-Valo. En somme, mon métier est très réglementaire mais c’est la filière qui veut cela.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.