Méthanisation (2/2) : « Sans soutien de l’Etat, la filière ne se développera pas »
Après nous avoir décrit le processus de méthanisation la semaine passée, dans ce second volet de l’entretien, Milène Fournier, ingénieure projets pour le bureau d’études Bio-Valo, revient sur le rôle crucial joué par l’Etat dans le développement de la méthanisation. Elle adresse également les critiques proférées à l’encontre de la filière avant de discuter les objectifs de part de gaz renouvelable dans la consommation finale d’ici 2050.
Opéra Energie : Aidez-nous à visualiser une unité de méthanisation. Comment se présente-t-elle ? Prend-elle de la place ? Quels sont les éléments qui la structurent ?
Milène Fournier : Les unités de méthanisation, on peut en voir quand on roule sur l’autoroute. Ce sont de grands dômes. Il s’agit de cuves volumineuses. Puis, sur le sommet, il y a une membrane souple pour retenir le gaz, même si elle existe aussi en dur. Selon les unités de méthanisation, il va y avoir une, deux ou trois cuves, donc elles peuvent prendre beaucoup de place. D’ailleurs lorsque les études de faisabilité sont effectuées, la localisation est l’un des points les plus importants, sachant que les terres des agriculteurs sont souvent éloignées des villes, ce qui est un avantage. Dans ces études de faisabilité, on va aussi s’assurer que l’unité n’est pas construite dans une zone sismique, ou encore que les distances de sécurité avec les habitations et les fleuves sont respectées, etc.
Ensuite, concernant les éléments et le fonctionnement : il existe différentes technologies d’incorporation, comme des trémies pour les matières solides, ou des cuves pour les matières liquides. Tout cela va entrer dans la cuve qui est chauffée entre 38°C et 40°C, bien qu’il y ait des méthaniseurs, au processus plus rapide, qui chauffent entre 50°C et 53°C. A noter que la partie chauffage de la méthanisation est assurée par elle-même. Soit, on est en cogénération et on utilise la chaleur produite pour chauffer la cuve ; soit on produit du gaz dont on va se servir pour faire tourner les chaudières qui chaufferont la cuve. C’est une optimisation intéressante.
Une fois que les matières organiques sont rentrées dans le méthaniseur, le biogaz va être produit au fur et à mesure, stocké dans la membrane. Ensuite il sera soit transformé en biométhane pour être injecté, soit il entre dans un moteur de cogénération pour produire de l’électricité qui sera revendue. Précisons que les matières organiques restent un certain temps dans la cuve, c’est ce qu’on appelle le « temps de séjour ». Cette étape permet de veiller à ce que les matières organiques soient bien dégradées. Par exemple, des fumiers et des résidus végétaux n’auront pas un temps de dégradation similaire.
OE : Combien coûte une installation ?
MF : Cela coûte cher ! C’est un investissement conséquent pour les agriculteurs, notamment. La fourchette est large. Il faut compter 3 millions d’euros pour une petite unité et 6 millions d’euros pour celles à taille moyenne. TotalEnergies détient la plus grande unité en France, aujourd’hui.
OE : Existe-t-il des aides au financement ?
MF : Il y a des subventions publiques, qu’il s’agisse de l’ADEME ou de fonds européens. Il est aussi possible d’avoir des financements participatifs des citoyens. Par ailleurs, on trouve un bon soutien des banques avec les crédits. En gros, les aides et les fonds propres représentent 20% à 30% de la somme et le crédit bancaire 70% à 80%.
OE : En combien d’années peut-on espérer amortir une installation ?
MF : Entre 6 ans et 15 ans, environ. Les subventions sont déterminantes dans la durée de l’amortissement. La méthanisation étant une filière qui coûte cher, elle est très dépendante des choix politiques. Sans subventions, il y a moins d’intérêt économique à se lancer dans la méthanisation. C’est une énergie renouvelable, après tout. Donc, si le gouvernement ne soutient pas la filière via des tarifs d’achat, ce n’est pas une filière qui peut fonctionner. Par exemple, il y a peu, le gouvernement a réduit ses investissements dans le biométhane. En tant que bureau d’études, on s’est rendu compte que le nombre de projets avait baissé, dans le domaine. Puis, avec la guerre en Ukraine, le prix du gaz augmentant, le gouvernement est revenu en arrière et a valorisé le tarif d’achat, car la méthanisation permet de se désolidariser des gaz fossiles. Par conséquent, les projets sont repartis à la hausse.
OE : On sait à quel point l’agriculture peine à diminuer ses émissions de CO2. La méthanisation est-elle un bon moyen de décarboner le secteur ?
MF : C’est l’un des moyens. Et ce pour plusieurs raisons : d’abord, le fait d’utiliser du digestat sur les terres, évite d’acheter des ingrédients de synthèse qui, eux, coûtent très cher en carbone, à la production. Ensuite, même si on ne décarbone pas nécessairement l’agriculture en tant que tel, le biométhane est beaucoup plus neutre que du gaz fossile. Enfin, la méthanisation permet de meilleures pratiques agricoles, avec les cives. C’est un effet indirect mais qui mérite d’être mentionné.
OE : Il existe des objections à la méthanisation, qu’il s’agisse de l’élevage ou de la possible pollution des sols. Ces critiques sont-elles légitimes, selon vous ?
MF : Généralement, on a tendance à dire que la méthanisation n’est pas neutre. Mais, on estime que c’est une énergie bas carbone. Le processus évite même des émissions. Si on regarde du côté des effluents d’élevage, la méthanisation les récupère dès la production. Auparavant, ils auraient été stockés en fond de champ, avant de pouvoir être épandus.
L’une des remarques qu’on a souvent en méthanisation c’est : « La méthanisation concurrence l’alimentaire ». C’est faux. En France, la loi autorise un maximum de 15% de culture principale dans les méthanisations. C’est une norme qui est vérifiée par les institutions environnementales, les inspecteurs de l’ICPE et la nouvelle réglementation RED2 a ajouté une vérification en audit du seuil des 15%. On a de la marge car, à l’heure actuelle, d’après des études, en moyenne dans les unités de méthanisation en France, c’est 3% de cultures principales.
Concernant la pollution des sols, il existe deux risques principaux : les fuites de digestat et l’épandage. Dans les deux cas, il s’agit d’avoir un suivi. La méthanisation est une industrie avec tous les risques que cela comporte et il faut la traiter comme telle. Mais elle ne risque pas de polluer plus qu’une autre industrie. La partie épandage est soumise à un plan d’épandage. Aujourd’hui, la filière est mature. Bien plus qu’il y a dix ans. Les réglementations sont souvent mises à jour. En 2021 par exemple, une mise à jour de la réglementation ICPE a rendu obligatoire plusieurs bonnes pratiques (par exemple, le suivi d’un plan de maintenance préventive plus rigide qu’auparavant). Si, lors d’une inspection, on constate que ce n’est pas le cas, une mise en demeure s’en suit et l’unité peut être mise hors fonction.
Etre à 10% de gaz renouvelable dans la consommation finale, en 2030 me paraît totalement possible.
OE : Revenons sur la pollution générée par la méthanisation. C’est paradoxal pour un processus servant, entre autres, à décarboner. Qu’en est-il ?
MF : Le but de la méthanisation est de produire du méthane (CH4), or, le méthane est plus polluant que le CO2. C’est la raison pour laquelle certains estiment que l’émission de CH4 annule les effets positifs de la méthanisation. Et ce pourrait être le cas s’il n’y avait pas de suivi. L’émission d’un gramme de CH4 équivaut à l’impact de 24g de CO2. Voilà pourquoi les unités disposent d’équipements chargés de brûler le CH4 en cas de fuite. Les caméras infrarouges dont la mission est de détecter les fuites sont aussi utilisées. Des études ont été réalisées pour évaluer la qualité des unités. Cet état des lieux a révélé qu’il n’y avait que très peu de fuites et lorsqu’elles existent, elles sont très vite résorbées. Autant de mesures de sécurité qui n’étaient pas aussi développées il y a dix ans.
OE : La France compte environ 1700 unités. Combien peut-on en espérer dans un futur proche ?
MF : GRDF est un protagoniste de la méthanisation. Ils mettent de nombreuses statistiques à disposition et possèdent une plateforme sur laquelle sont répertoriés tous les projets engagés ou discutés. Actuellement il y a 580 nouveaux projets en cours – sachant qu’ils n’aboutiront pas tous. A cela, il faut ajouter 280 unités qui cherchent à augmenter leurs capacités.
OE : Pour finir, discutons les deux objectifs à moyen et long terme, de l’Etat. L’un est d’arriver à 10% de la consommation de gaz en France via le biogaz, d’ici 2030. L’autre est d’atteindre, selon l’ADEME, les 80% en 2050. Sont-ce là des objectifs raisonnables ?
MF : Aujourd’hui nous sommes à 3%. Être à 10% dans six ans me parait totalement possible. Mais pour cela, il faudra réunir deux circonstances : d’abord, que l’Etat poursuive son engagement dans le biogaz ; ensuite qu’on réduise notre consommation de gaz. Quant aux 80% en 2050, ils me paraissent très optimistes. J’ai consulté une étude de l’ADEME qui parlait d’une fourchette entre 35% et 50% de gaz renouvelable dans la consommation finale en 2050. Cette part est plus raisonnable. En revanche, il faut réaliser qu’on n’atteindra pas ces objectifs avec la seule méthanisation qui est limitée par la disponibilité de la biomasse. On ne peut pas créer de la biomasse. Voilà pourquoi les gaz futurs auront leur importance.
OE : Les gaz futurs ?
MF : Oui, comme la méthanation, une technologie sur laquelle nous travaillons chez Bio-Valo. Le principe de la méthanation, est de produire du méthane de synthèse. Plutôt que de faire monter des matières organiques et ressortir le CH4, on prend les deux molécules de base, CO2 et hydrogène et on les fusionne pour que cela devienne du CH4. Il y a aussi l’hydrogène biologique ou encore la pyrogazéification. Les projections ambitieuses de l’Etat vis-à-vis du gaz renouvelable partent du postulat que ces gaz du futur vont se développer dans les années à venir, comme la méthanisation l’a fait sur les quinze dernières années.
Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie