Révolte des agriculteurs début 2024

Dans ce premier volet de notre entretien avec Olivier Dauger, l’agriculteur et administrateur de la FNSEA revient sur le début d’année 2024 marqué par la révolte des agriculteurs, partout en Europe. Il nous en explique les causes et ce qui a changé depuis.

Opéra Energie : Pourriez-vous nous décrire votre parcours ?

Olivier Dauger : Je suis agriculteur et j’ai été président de la chambre d’agriculture. Depuis une dizaine d’années, je me suis spécialisé sur les sujets du climat, de l’énergie et du carbone, en lien avec l’agriculture. J’ai la charge de tous ces dossiers concernant la transition climatique, la planification écologique, les PPE. Je travaille sur les feuilles de route de la décarbonation de l’agriculture, le développement de la bioéconomie. Le volet énergie n’est pas mon seul sujet de travail. Il y a aussi la question des matériaux, avec l’utilisation de la biomasse, entre autres.

OE : Pouvez-vous nous dire quelques mots de la FNSEA dont vous êtes un administrateur ?

OD : C’est la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitation Agricole. C’est une fédération de fédérations. En France, il y a des syndicats agricoles dans tous les cantons. Il existe donc des fédérations départementales chargées de rassembler ces syndicats de cantons. Le conseil d’administration de la FNSEA est représenté à 50% par les élus venus des départements et à 50% par des associations spécialisées. Toutes les fédérations sont présentes, qu’il s’agisse de l’élevage, des fruits, des légumes, de la production biologique. Toutes les productions sont représentées au niveau du conseil d’administration de la FNSEA.

OE : En début d’année 2024, un grand mouvement de protestation des agriculteurs – dont le modus operandi était le blocage – a vu le jour à travers toute l’Europe. Quelles raisons ont déclenché ce mouvement ? Pourquoi à ce moment-là ?

OD : Il est difficile de donner un élément déclencheur précis. Il y a eu un premier blocage dans le Sud-Ouest, avec un agriculteur qui a bien accroché avec les médias. Cela dit, quel que soit l’élément déclencheur, l’ampleur prise par le mouvement prouve que le terrain était fertile. Ce terrain fertile c’était un manque de revenus, un manque de compétitivité, un manque de dignité et surtout des réglementations trop rigides.

OE : En quoi ces réglementations sont rigides ? Auriez-vous des exemples ?

OD : Agriculteur est un métier où l’on travaille avec le vivant. Nous dépendons d’éléments externes que nous ne maîtrisons pas, comme la météo. L’administratif c’est l’inverse, c’est binaire : soit noir, soit blanc. On a des dates fixes de semis. Or, si le sol est trop sec, ou s’il pleut de trop, il ne sert à rien de semer. Un autre exemple encore plus parlant : la montée en gamme. Le président Macron avait souhaité la montée en gamme de l’agriculture. Or le marché, à 90%, n’est pas un marché de gamme mais un marché de prix. La production biologique est un cas d’école. L’ambition était de « faire du bio » parce que la société « veut du bio ». Or, monter en gamme coûte cher à la production. Si les prix sont trop élevés, la demande s’écroule et le marché avec. C’est ce qui est arrivé dans ce cas-là. Le marché du bio s’est écroulé et un certain nombre de produits bio sont vendus au même prix que les produits conventionnels ; forcément, les producteurs bio sont perdants. Aujourd’hui, vous avez plus de dé-conversions que de conversions au bio. Donc, ces normes, en plus de ne pas être adaptées, génèrent des coûts qui ne sont pas valorisés par le marché et mettent les agriculteurs dans des distorsions de concurrence importantes.

OE : Italie, Espagne, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Roumanie, sont certains des pays où l’on a observé des blocages. Les colères avaient toutes ces mêmes sources ?

OD : Oui, il y a des similitudes, notamment sur l’aspect trop rigide. Tout simplement parce que le cadre des réglementations est européen. Le manque de souplesse et l’approche insuffisamment économique, sont les sources de la révolte. Les exploitations sont des petites entreprises. Ces normes ont engendré des pertes de marché et ont entraîné des conséquences négatives sur les revenus. Il y a un décalage entre les décisions prises en haut et la réalité du terrain. Et, effectivement, il y a eu des manifestations dans une dizaine de pays mais le fond du ras-le-bol était le même.

OE : Il paraît pourtant évident, vu de l’extérieur, que ces normes sont difficiles à respecter tant les variables sont nombreuses et imprévisibles – comme dans l’exemple des semis que vous nous soumettiez précédemment. Quel est l’intérêt de règles si strictes ?

OD : D’abord parce que l’Europe veut cadrer les choses. Or, il est dur de mettre un cadre lorsque le climat entre pays est si différent. Ensuite, on est passé en 25 ans d’administrations européenne et française qui accompagnent, à des administrations qui contrôlent. Pour contrôler, il faut des règles simples. Aujourd’hui, une importante partie de la réglementation est réfléchie en fonction du contrôle et non de l’objectif. Donc, si à la date demandée vous n’avez pas semé, vous êtes en tort, quelles que soient les circonstances. Sans compter qu’il n’y a que peu de contrôleurs, donc il faut des systèmes de contrôle efficaces qui évitent les recours.

L’agriculture va connaître d’importants départs à la retraite, (…) il faut donner des perspectives de revenus (…) donner l’envie aux jeunes de s’installer dans la profession ».

OE : Les protestations du secteur ont engendré deux réponses de l’exécutif français en février dernier : le Premier ministre, Gabriel Attal, a proposé 62 engagements pour l’agriculture. Le président de la République, de son côté, a promis des plans de trésorerie d’urgence afin de « déboucher sur des prix planchers ». Ces initiatives convenaient-elles au monde agricole ? Si oui, où en est-on ?

OD : Initialement, le président nous avait dit « mettez-moi 4 ou 5 mesures sur la table et on n’en parle plus ». Or, l’agriculture est très diversifiée et complexe. Les besoins dans l’élevage ne sont pas les mêmes qu’en culture ou dans les fruits et légumes. 5 mesures ne peuvent répondre à tout le monde. Le secteur avait répertorié une centaine de mesures potentielles. Donc, lorsqu’on a vu que le Premier ministre en retenait 62, cela nous prouvait qu’il se rendait compte de l’ampleur du problème.

Des démarches ont été initiées, oui ; malheureusement elles n’ont pas abouti. Certains engagements devaient être transformer en lois, or, la situation actuelle [ndlr : la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024] fait que beaucoup desdits engagements tombent à l’eau. Sans compter que cela prend toujours du temps et ce n’est pas la faute du gouvernement ; les procédures sont faites ainsi. Finalement, sur les 62 mesures, une petite dizaine, au mieux, est arrivée à terme. Conséquences : les agriculteurs vont se retrouver à l’automne avec peu de changement par rapport à l’année dernière et les protestations risquent de reprendre. A minima, le monde agricole va rapidement demander au nouveau gouvernement à remettre le travail sur l’établi pour aboutir à ces promesses qui étaient liées à des vraies problématiques.

OE : Justement – vous y avez répondu en partie- mais, comment le secteur de l’agriculture perçoit la dissolution de l’Assemblée nationale : un espoir de pouvoir négocier à nouveau ou un risque que cette situation difficile ne perdure ?

OD : On perd du temps. Les choses étaient lancées. Souvent, l’agriculture n’étant pas une priorité, il existe le risque qu’on nous dise « attendez, il y a des urgences à gérer, l’agriculture on verra après ». Nous, ce qu’on demande, c’est qu’on reste sur ce principe d’aide à la transition agricole, mais avec une vision de compétitivité, de reconnaissance du travail et de revenus. Ce n’est pas contre les transitions. On est dans une période où l’agriculture va connaître d’importants départs à la retraite, dans les 5 à 10 ans qui viennent. Voilà pourquoi il faut donner des perspectives de revenus, donner l’envie aux jeunes de s’installer dans la profession. On espère que l’agriculture sera considérée comme un vrai sujet d’avenir, quel que soit le gouvernement en place.

OE : Avez-vous des exemples d’engagements satisfaisants, parmi la dizaine arrivée à terme ?

OD : Le fait de prolonger la détaxation du gasoil était une bonne chose, car le gouvernement avait pour projet initial de la supprimer. Les mesures entourant l’eau en agriculture, qu’il s’agisse de son utilisation ou de sa gestion ont pu être validées car elles ne nécessitaient pas de passer par la loi. Surtout, il y a la retraite des exploitants, l’une des plus faibles retraites en France. Comme dans tout secteur économique, elle devait être fondée sur les 25 dernières années – jusqu’ici, toutes les années étaient prises en compte. Finalement, les 25 meilleures années seront considérées. Et c’est un plus. Désormais, il faut voir les textes qui en découleront d’ici la fin de la mandature. La question des produits phytosanitaires est, elle aussi, importante. On utilise déjà moins de phytosanitaires et particulièrement les dangereux depuis 30 ans. Il y a également la nécessité d’aller vers une agriculture moins dépendante, mais il faut mettre les moyens pour trouver des solutions. Encore une fois, nos produits sont vendus sur le marché. Si l’on n’a pas de solution, soit on produira moins, soit on produira de la moins bonne qualité, soit on produira plus cher. Il est impératif de regarder produit par produit et trouver des solutions économiques viables. Enfin, le travail sur la trésorerie – et notamment le gasoil agricole- a été mis en place.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.