« De nouvelles opportunités s’offrent aux entreprises grâce à des solutions innovantes comme la GTB »
Après un premier épisode consacré à l’électrification dans les transports, Mladena Pavlova Joveski, consultante énergie chez LCP Delta et anciennement à la CRE, aborde la question de l’électrification du bâtiment avec un focus sur les pompes à chaleur.
OE : Quels sont les objectifs d’électrification dans ce secteur ?
MPJ : D’abord, il faut préciser que l’électrification du bâtiment – tout particulièrement le résidentiel – est plus complexe que les autres secteurs, en raison des défis liés à l’adoption de nouvelles technologies par les ménages.
OE : Pourquoi est-ce plus compliqué dans le résidentiel ?
MPJ : Les consommateurs résidentiels jouent un rôle clé dans cette transformation énergétique. Les ménages ont besoin de plus d’informations, de plus de connaissances, de plus de compréhension que l’industriel, par exemple. Le plus important est la pédagogie, la connaissance des opportunités, ainsi que les bénéfices qu’ils peuvent en obtenir. Pour cela, il faut leur mettre à disposition les bons outils, qu’ils viennent des fournisseurs, des associations ou des gouvernements. Il est essentiel que les consommateurs soient informés, accompagnés et guidés tout au long du processus avec une communication transparente, des options financières pour faciliter l’adoption d’une nouvelle technologie et un cadre réglementaire stable.
Les objectifs sur l’électrification des bâtiments sont ambitieux mais, il y a un retard face aux buts et enjeux européens. C’est ce qu’on observe dans nos analyses, malgré un engagement politique important.
OE : A quoi ce retard est-il dû ?
MPJ : La France voulait être l’un des premiers marchés en Europe à remplacer son parc de chaudières à énergie fossile par d’autres solutions comme les pompes à chaleur. Aujourd’hui, nous sommes loin de cet objectif et il y a plusieurs raisons à cela : d’abord, le marché des pompes à chaleur traverse une période difficile avec une baisse significative des ventes causée par l’inflation pesant sur le budget des ménages. Ensuite, il y a une crise dans le secteur de la construction neuve, ce qui impacte bon nombre de marchés comme le chauffage ou le photovoltaïque. Enfin, l’engagement politique incertain. Il y a des changements fréquents de réglementations ce qui crée la confusion dans l’esprit du consommateur. On le voit avec les ajustements de MaPrimeRénov’. Or, pour qu’un consommateur adopte une technologie, il faut qu’il y ait la connaissance, la pédagogie et la clarté. Tous les freins que je viens d’évoquer provoquent la réticence des ménages et limitent les possibilités du marché de se développer.
Le gouvernement français à un objectif de production d’un million de pompes à chaleur par an d’ici 2027
OE : Les perspectives à moyen terme sont-elles plus réjouissantes ?
MPJ : Le gouvernement français à un objectif de production d’un million de pompes à chaleur par an d’ici 2027, mais il sera dur à atteindre du fait de l’état actuel du marché. En France, on a une chute de 30% des ventes de pompes à chaleur en 2024 par rapport à la même époque l’année dernière. Bien que la France soit le principal marché des pompes à chaleur en Europe, ce marché est en déclin. Il y aura un total de 400 000 pompes à chaleur vendues d’ici la fin de l’année.
OE : Comment endiguer cette chute ?
MPJ : C’est compliqué, surtout avec les discussions en cours visant à limiter les subventions sur les biens produits en France ou en Europe. C’est valable pour les pompes à chaleur mais pour le photovoltaïque et les véhicules électriques également. Or, les produits d’origines européennes sont plus chers. L’idée est de maintenir notre marché régional mais, face à la Chine, la situation est difficilement tenable pour les fabricants comme pour les pouvoirs publics. Il est difficile de se développer sur les technologies de la transition énergétique en Europe.
OE : Compte tenu de ces obstacles, quels sont les objectifs de vente de pompes à chaleur à moyen terme, en France ?
MPJ : Pour 2035 on prévoit 750 000 pompes à chaleur vendues. Ce sera plutôt dans le secteur du bâtiment neuf, secteur clé pour permettre le développement du marché des pompes à chaleur. Mais c’est aussi lié à la réglementation car si certaines visent la rénovation, beaucoup se fixent sur la construction neuve.
OE : Auriez-vous un exemple ?
MPJ : Un bâtiment neuf doit répondre à certaines normes d’efficacité énergétique qui ne peuvent être respectées que si on adopte des pompes à chaleur, du photovoltaïque etc. Par ailleurs, j’aimerais dire un mot sur le marché des pompes à chaleur pour le secteur de la grande industrie. C’est un domaine dont on parle peu, car il s’agit d’un petit marché, mais en expansion et avec beaucoup de potentiel, soutenu par des initiatives environnementales et une demande croissante d’efficacité énergétique.
OE : Qu’en est-il de la situation dans le tertiaire ?
MPJ : La stratégie RSE (Responsabilité sociale des entreprises) est devenue essentielle pour les entreprises. Pour être en conformité avec la réglementation, certes, mais aussi pour l’image de marque, pour montrer qu’elles se tournent vers le renouvelable. Aujourd’hui, en France, nous avons deux décrets en place : le décret tertiaire et le décret BACS (Building Automation & Control Systems). L’objectif est de réduire les consommations énergétiques pour les bâtiments tertiaires. Il y a de nouvelles opportunités qui s’offrent aux entreprises grâce à des solutions nouvelles et des systèmes performants qui existent en s’appuyant sur des outils innovants comme la Gestion Technique du Bâtiment (GTB) ou le pilotage des consommations dans les bâtiments.
OE : Pouvez-vous en dire plus sur le décret BACS, pour nos lecteurs ?
MPJ : Il est apparu en 2021 et vise à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments tertiaires en France. Cette norme impose aux propriétaires de bâtiments neufs ou existants, de mettre en place un système de pilotage énergétique. Cette mesure vise à optimiser la performance énergétique des bâtiments en surveillant et en ajustant en temps réel la consommation des systèmes techniques tels que le chauffage, la climatisation et la ventilation.
OE : Qui a-t-il à l’échelle européenne ?
MPJ : Il y a la Directive sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD) qui encourage l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments au sein de l’UE. La Directive sur l’efficacité énergétique EED avec des exigences sur les audits énergétiques et les systèmes de gestion de l’énergie pour les grandes entreprises. Et la CSRD* la directive européenne qui impose de nouvelles normes de reporting extra-financier pour les grandes entreprises. Son objectif est de promouvoir le développement durable et d’évaluer l’impact des entreprises sur l’environnement, en harmonisant les données ESG.
*Corporate sustainability reporting directive
Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie
A venir : 3e et dernière partie – le développement du photovoltaïque en Europe