Stéphan Guignard hydrolienne
Stéphan Guignard nous parle de l'évolution de l'hydrolienne et sa difficile évolution face aux contraintes climatiques

Stéphan Guignard, docteur en mécanique des fluides et CEO-CTO de VH Quatrevingtreize nous parle de son invention mondialement brevetée : le Savonius à pales souples, du difficile développement de l’hydrolien, mais aussi de l’impact du changement climatique sur notre avenir énergétique.

Opéra Energie : Qu’est-ce qu’une hydrolienne ?

Stephan Guignard : C’est une éolienne dans l’eau, pour faire simple. C’est un système qui va capter la puissance cinétique de l’eau, c’est-à-dire qu’une hydrolienne transforme le mouvement de l’eau en une force mécanique, rotative en général, pour produire le plus souvent de l’électricité. Une hydrolienne se trouve en écoulement libre plutôt qu’en écoulement contraint comme pourrait l’être un moulin ou une turbine de barrage.

OE : Pourriez-vous nous faire un petit historique de l’hydrolien ? Quand la filière a-t-elle démarré son développement ?

SG : Cela fait une vingtaine d’années que les hydroliennes se développent de manière prononcée, mais le marché ressemble aux montagnes russes. D’ailleurs, il n’y a pas vraiment de marché comme pour l’éolien, par exemple.

OE : Eoliennes, panneaux photovoltaïques et hydroliennes sont des filières qui ont débuté environ à la même période. Or aujourd’hui, éoliennes et panneaux photovoltaïques sont bien plus développés A quoi est dû ce retard, selon vous ?

SG : A l’eau. Il est plus compliqué d’installer quelque chose dans l’eau que dans un champ ou sur un toit, vous l’imaginez bien. Les éoliennes ont été éprouvées à terre avant d’être amenées en mer. Quand vous installez une hydrolienne en rivière, la rivière ne s’arrête pas, c’est compliqué. En mer, vous avez la marée, c’est compliqué. Sans compter tous les problèmes au long-court liés à l’eau comme l’oxydation.

OE : Quelle est la part de l’hydrolienne dans la production d’énergies renouvelables ?

SG : Pour caricaturer, on pourrait dire : rien. Pour vous donner un ordre d’idées de l’investissement nécessaire : la mise à l’eau d’une hydrolienne coûte 1 million d’euros. Pour certaines îles, l’hydrolienne représentent quasiment 100% de leur production. C’est ce qu’assurait l’hydrolienne Sabella. Sabella a fait faillite. Quant à l’hydrolienne Open Hydro, elle a connu des problèmes de corrosion. Puis, Naval Group qui l’a rachetée à EDF, a ouvert une usine à Cherbourg. L’usine a fermé quelques mois après. J’ai rencontré le chef de projet quelques années plus tard qui m’a confié qu’à l’inauguration de l’usine, il savait qu’elle fermerait sous peu. Depuis, l’usine a été reconvertie pour la logistique et la production d’éoliennes.

OE : Peut-on affirmé que l’éolien a gêné le développement de l’hydrolien ?

SG : Ce n’est pas la seule explication mais c’en est une. Les Etats ou les ensembles régionaux comme l’Union européenne ont mis l’accent sur l’éolien parce que c’était en plein boom. On ne peut pas les blâmer. Il est logique d’investir davantage dans un procédé lancé avec une industrie prête.

OE : Y a-t-il d’autres régions du monde, dans lesquelles l’hydrolienne se développe ?

SG : Pour savoir où l’on peut développer les hydroliennes, il faut consulter la carte des courants de marée. Le logiciel Windy est dévolu à cela. Il y a eu des hydroliennes dans les Philippines, il y a eu des activités d’hydro Québec, dans la baie de Saint-Denis, il y a eu des essais au Japon, en Ecosse. D’ailleurs, à l’extrême nord de l’Ecosse, il y a un centre d’essai des hydroliennes appelé Emec. En France, il y a un centre d’essai à Bordeaux (Seeneoh), il y a le courant de la Jument dans l’entrée du golfe du Morbihan. La filière n’est pas morte.

Cette accélération du changement climatique est bien plus forte que prévu (…) C’est l’ensemble de notre système énergétique qui est en danger (…) les centrales le long du Rhône, il est à prévoir qu’on doive les arrêter plus souvent dans les années qui viennent 

OE : Compte tenu du tableau peu reluisant que vous dressez de l’hydrolien, on peut se demander : pourquoi VH Quatrevingtreize ?

SG : D’abord, on est parti sur des hydroliennes qui peuvent fonctionner et être rentables à basse vitesse. On a parié sur le low tech, ce qui a élargi énormément notre champ d’action. Les hydroliennes traditionnelles marchent dans du 4 mètres/seconde. Nous, nous sommes entre 1 et 2 mètres/seconde. Ensuite, l’objectif est de faire des machines fonctionnant près de la surface et non au fond de l’eau, ce qui coûte beaucoup moins cher. Enfin, on a l’espoir, un peu fou, que les législations française et européenne, créent un cadre légal pour ce genre de projets. Or, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas vraiment de cadre légal, pour l’heure. Cela dit, pour nous VH Quatrevingtreize, notre premier marché étant les rivières pour les particuliers et les petites collectivités, le changement climatique est un problème plus important que l’absence de législation.

OE : Dans quelles mesures le changement climatique affecte vos activités ?

SG : Le changement climatique produit une perturbation forte du cycle de l’eau. Et la perturbation du cycle de l’eau entraine, elle, des rivières de plus en plus irrégulières. On peut avoir, en même temps, des pluies et la fonte des neiges, par exemple. Cela donne des rivières qui recouvrent des hameaux dans les Hautes-Alpes, des rivières qui arrachent des routes dans les Alpes-Maritimes. Au mois de mai 2023, les rivières de France étaient quasiment toutes à sec ou très basses. Deux semaines plus tard, les rivières du sud du pays étaient hors de leurs lits, dans les champs. Il devient, dans ces conditions, très compliqué d’installer quoi que ce soit dans une rivière. Simplement vivre à côté d’une rivière devient compliqué. Autant de phénomènes que le GIEC avait prédit, à la différence notable qu’ils ont 20 ans d’avance sur les prédictions. Nous pensions avoir deux décennies pour éprouver les hydroliennes dans les rivières avant de les tester en mer ; c’est un temps que nous n’avons pas eu.

Or, cette accélération du changement climatique est bien plus forte que prévu et risque d’être pire que prévu. C’est l’ensemble de notre système énergétique qui est en danger ; qu’il s’agisse des panneaux photovoltaïques détruits par les grêlons ou arrachés par les tempêtes à 250 km/h, ou des éoliennes qui s’usent de manière prématurée du fait des températures trop élevées et des tempêtes plus fortes et plus fréquentes. Nos centrales nucléaires et thermiques vont avoir du mal à refroidir soit, à cause des tempêtes en mer, soit à cause des rivières déréglées. Si vous prenez les centrales françaises qui sont le long du Rhône, par exemple, il est à prévoir qu’on doive les arrêter plus souvent dans les années qui viennent, car le fleuve sera beaucoup plus irrégulier, et que les Suisses qui sont en amont vont réserver leur débit. Donc, le changement climatique va générer des problématiques énergétiques et géopolitiques.

OE : C’est le domaine des énergies renouvelables dans sa globalité qui pourrait être mis en danger par le changement climatique, donc ?

SG : Oui. Et dans ce contexte, les hydroliennes peuvent tirer leur épingle du jeu. A 50 mètres sous l’eau, elles sont moins impactées par le changement climatique. Encore faudrait-il que les conditions maritimes permettent leur entretien. Mais cela signifierait aussi une énergie beaucoup plus chère.

OE : Une augmentation de quel ordre ?

SG : C’est une multiplication par 10, car les coûts de maintenance sont exorbitants, les matières premières commencent à manquer à la fois pour fabriquer les machines et pour produire de l’électricité. Le business model des éoliennes n’est pas fabuleux, celui du photovoltaïque ne tient que parce que la production est chinoise – avec un mix énergétique chinois à 60% d’origine charbon. Tout cela n’est pas appelé à durer. On a vraiment des grandes questions à se poser sur l’avenir de notre système énergétique ; donc notre avenir tout court, puisque nos vies sont étroitement liées à l’énergie.

OE : Fort de ces connaissances, comment se prépare VH Quatrevingtreize ?

SG : Chez VH Quatrevingtreize, nous avons décidé de pivoter et d’aller chercher l’énergie en mer par des systèmes mobiles avec stockage intégré – une idée qui me trottait dans la tête depuis longtemps mais que nous avons vraiment déclenchée en 2023. L’intérêt de la mobilité est double : suivre la ressource en énergie grâce aux prévisions météo et éviter les événements destructeurs en restant au port ou en n’étant pas là où est la tempête.

L’Homme a dérégulé le climat, le cycle de l’eau et de l’air mais, la bonne nouvelle est qu’on arrive à prévoir tous ces phénomènes. Les prévisions météorologiques sont de plus en plus précises. A une semaine, on sait ce qui va se passer sur l’ensemble du globe. Cela n’a jamais été le cas dans l’histoire de l’humanité. On n’a jamais eu un défi aussi grand à relever mais on n’a jamais eu autant de moyens technologiques pour le faire : l’intelligence artificielle, les matériaux de plus en plus performants, les prévisions météorologiques. C’est la note d’espoir. Cela dit, il y a une myriade de choix possibles et il faut faire les bons. Chez VH Quatrevingtreize, notre choix est donc de développer les systèmes mobiles qui vont capter l’énergie du vent, des vagues et du soleil en mer, les stocker et les ramener.

OE : Le stockage d’énergie, là aussi on parle d’un enjeu colossal.

SG : Oui et le stockage d’énergie progresse énormément. On commence à faire des batteries dont le sourcing est facile. Il y a une magnifique progression, autant sur l’efficacité que sur l’aspect écologique. Notre savoir-faire à VH Quatrevingtreize réside, bien sûr, dans le captage de l’énergie des vagues. Nos hydroliennes sont particulières en ce sens qu’elles sont capables de conserver leur performance dans les écoulements extrêmement perturbés grâce à la technologie brevetée du Savonius à pales souples, dont je suis l’inventeur.

OE : Le Savonius à pales souples ? De quoi s’agit-il ?

SG : C’est une technologie brevetée mondialement (Etats-Unis, Canada, Europe, Chine), développée au CNRS et à l’Université Aix-Marseille qui permet aux hydroliennes de continuer à fonctionner en rivières, dans des milieux perturbés et dans des écoulements générés par les vagues. De plus, le navire lui-même est équipé d’un système sous-marin qui va permettre de faire converger les vagues et les faire déferler sur les hydrogénérateurs de manière quasi-continue. C’est ce qu’on pourrait appeler « refaire des rivières en mer ». L’avantage étant que l’on choisit nos conditions grâce la mobilité du bateau. Ce procédé change tout car, au lieu d’attendre que Dame Nature veuille bien nous donner ce dont on a besoin pour produire notre énergie – que ce soit pour faire tourner nos éoliennes, pour refroidir nos centrales nucléaires, pour alimenter nos panneaux photovoltaïques – la mobilité permet d’aller là où la nature nous est favorable et de l’éviter là où elle est défavorable. Et c’est cette fabuleuse technologie de prévisions météo à une semaine – et bientôt 15 jours, qui le permet.

La façon dont on va produire et consommer l’énergie va déterminer notre avenir.

OE : Le nom de votre entreprise vient du roman d’Hugo, Quatrevingt-treize, qui traite des conséquences de la Révolution française. Quel rapport avec vos activités ?

SG : D’abord parce que Victor Hugo est mondialement connu. Ensuite, si vous prenez l’une des dernières pages de l’ouvrage, Hugo dit ceci : « Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d’eau, tous les effluves magnétiques (…) Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu’est-ce que l’océan ? une énorme force perdue. Comme la terre est bête de ne pas employer l’océan ! ».  J’ai trouvé bon d’utiliser cela comme feuille de route. Malgré tout, je trouve Victor Hugo très dur avec l’humanité de son époque. Il y a 150 ans, la mer était imprévisible et par conséquent très destructrice. Si les Hommes de cette période n’utilisaient pas la mer c’est précisément parce qu’ils ne pouvaient pas la prédire. Les gens ne le savent pas mais, le sort de l’humanité a été très souvent réglé par la météo ; qu’il s’agisse de l’invincible Armada qui se fait broyer par la tempête sur les côtes irlandaises, ou de l’issue de Trafalgar, ou de l’arrêt de la progression allemande dans le froid russe lors de la Seconde guerre mondiale. La différence entre aujourd’hui et les mille années précédentes est que, dorénavant, on peut envisager ; et on a tout intérêt à le faire.

OE : Votre baseline est en anglais, « make energy great again » et est une référence à la politique américaine. Pourquoi ce choix ?

SG : Pour donner une dimension planétaire au concept car, la solution sera planétaire ou ne sera pas. Nous sommes une entreprise assez militante, vous l’aurez compris. Aussi, la baseline détourne un slogan connu et est un pied de nez à son auteur qui ne fait référence qu’à son pays, alors même que la solution est mondiale. Ce n’est pas d’un pays dont il faut retrouver la grandeur mais ce qui nous lie tous : l’énergie. C’est ce pourquoi on fait la guerre, que ce soit sous forme de nourriture, de pétrole ou d’huile de baleine. La façon dont on va produire et consommer l’énergie va déterminer notre avenir.

OE : Où voyez-vous la filière de l’hydrolienne à moyen et long terme, dans 10 ou 15 ans ?

SG : je ne suis pas sûr qu’elle décolle. Je crois davantage aux systèmes mobiles comme je vous l’ai dit.  Je ne crois pas que l’hydrolienne décolle car l’Europe a déjà du mal à faire tenir la filière de l’éolien dans laquelle elle a presque tout investi. Je pense que, malheureusement, l’humanité va plutôt se replier sur les énergies classiques : nucléaire, pétrole, gaz, avec peut-être récupération de CO2 à la sortie des centrales. Il se peut que dans 15 ans, on ait besoin des systèmes mobiles si les autres ont échoué, donc cela vaut le coup de les développer maintenant. Ceux qui investissement aujourd’hui dans ce domaine récupéreront gros car il va y avoir une vraie nécessité.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.