Jusqu’où ira l’attrait pour le gaz naturel liquéfié, en Europe?
EN 2022, le commerce du gaz naturel liquéfié (GNL) a dépassé les flux transférés par gazoduc. Une première. Cette énergie devenue cruciale pour l’Europe a redessiné les relations entre les pays de la région et avec la Russie.
Qu’est-ce que le gaz naturel liquéfié ?
Le principe du GNL est de condenser le gaz à une température de -160°C afin de le liquéfier. Ainsi, le gaz est 600 fois moins volumineux et peut être transporté par bateaux méthaniers. Une fois arrivé à destination, il est « regazéifié » au terminal, grâce à un système d’échange thermique exploitant l’eau de mer.
En 2022, les cours du GNL grimpent à 120€/MWh du fait de l’accroissement de la demande européenne. Les choix stratégiques des fournisseurs, durant l’année, se déportent vers l’ouest ; la Chine voyant sa demande baisser et des pays tels que l’Inde, le Pakistan et le Bengladesh n’étant plus capables de s’offrir cette énergie devenue onéreuse, dans les mêmes volumes.
Les raisons du succès : une question géopolitique
Le soudain succès du GNL est concomitant de la détérioration des relations entre la Russie et le reste de l’Europe. En guise de repère, précisons que Gazprom (entreprise gazière russe), représente 40% de l’approvisionnement en gaz des pays européens.
Avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie restreignait déjà l’accès à son gaz, pour l’Europe, élevant le prix du gaz à 123€/MWh (+160%) en 2021, avec un pic à 340€ le MWh durant la période estivale. Puis, dans la foulée du déclenchement du conflit russo-ukrainien, la Russie diminue de moitié ses exportations vers l’Europe et prive ainsi le continent de 78 milliards de m³ de gaz- soit 20% de sa consommation totale.
Dans son processus d’adaptation, l’Europe a réduit de 13% sa consommation de gaz russe, en 2022 (un record) et a intensifié sa collaboration avec l’Algérie, la Norvège, la Libye, la Grande-Bretagne, pour se fournir en gaz. Enfin, elle a donc eu recours à l’alternative GNL.
Le GNL rebat les cartes
Les importations de GNL en Europe ont bondi de 63%, en 2022, dont les deux tiers provenant des Etats-Unis (43 milliards de m³). Quant au Qatar, il est devenu le deuxième fournisseur du continent (5 milliards de m³).
A l’intérieur de l’Europe, elle-même, les paradigmes ont changé. Tout d’abord, les pays de la façade atlantique (Portugal, Espagne, France) sont devenus les points d’entrée du GNL. La plupart des terminaux français, sous-exploités avant les restrictions russes, ont tourné à 95% de leur capacité en 2023. Ensuite, la France qui était jusqu’ici réceptrice de gaz est devenue exportatrice vers l’Allemagne et la Belgique, dans une moindre mesure.
Quant à l’Allemagne -pays européen le plus dépendant du gaz russe- elle a investi 9 milliards d’euros dans trois nouveaux terminaux à Brunsbüttel, Wilhemshaven et Lubmin, inaugurés en début d’année 2023.
Trois écueils : prix, dépendance et climat
Si le GNL est passé d’énergie d’appoint à énergie indispensable, sa position actuelle n’est pas garantie dans le futur. Essentiellement parce que son prix reste plus élevé que le gaz russe. La Russie n’a donc pas dit son dernier mot et les entreprises de rétropédalage, en Europe, commencent à poindre. Le mois dernier, le vice-chancelier allemand, Robert Habeck demandait officiellement à l’Ukraine de maintenir ouvert sur son sol, l’acheminement de gaz, pendant que plusieurs responsables publics allemands réclament un retour du gaz russe, une fois le conflit résorbé.
Il existe aussi un risque de se retrouver avec un marché déséquilibré où l’offre serait supérieure à la demande, compte tenu du développement des infrastructures pour le GNL. Les projets de constructions de terminaux méthaniers sont estimés à 7 milliards d’euros et la capacité potentielle totale devrait atteindre les 200 milliards de m³ (50% de la consommation européenne), d’ici 2025.
Ensuite, en misant sur le GNL, l’Europe prend le risque de passer d’une dépendance à la Russie à une dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Or, si Trump est élu en 2024, la probabilité pour que les exportations du GNL en Europe soient limitées est importante. Le vieux continent a déjà ébauché une réponse à ce futur écueil en signant des accords avec l’Egypte, l’Azerbaïdjan et Israël.
Enfin, la question de la préservation de l’environnement entre en ligne de compte. Les pertes de méthane au cours des processus d’extraction et de regazéification, posent problème. Pour Alexandre Joly du cabinet Carbone 4 : « la consommation de GNL ne vient pas se substituer à celle du charbon mais vient s’y ajouter ». Dans la même veine, certains spécialistes affirment que le GNL a un impact climatique plus élevé que le gaz russe. Sans compter qu’une partie du GNL importé des Etats-Unis est issu du gaz de schiste. Et, en Allemagne, la « loi d’accélération de l’utilisation du GNL » a provoqué l’ire des écologistes du pays.