« Sur le photovoltaïque, la France est très en retard par rapport à ses voisins »
Dans ce troisième et dernier volet de l’entretien avec Mladena Pavlova Joveski, consultante chez LCP Delta – passée par la CRE, est abordée la question du photovoltaïque et son difficile développement en Europe face à la domination chinoise.
Opéra Energie : Où en est le développement du photovoltaïque en Europe ?
Mladena Pavlova Joveski : Le marché du photovoltaïque a connu un déclin en 2024. Tout comme pour la voiture électrique et les pompes à chaleur, ce déclin observé est davantage un ralentissement du fait des deux années précédentes exceptionnelles. Il y a un contrecoup en 2024. C’est le cycle classique du marché.
OE : A quoi doit-on ces années dorées 2022 et 2023 ?
MPJ : Il y a eu un boost de toutes les technologies en 2022-2023. Cette bonne passe est également liée à différentes subventions et aux prix de marché.
OE : Ce déclin est donc temporaire ?
MPJ : La reprise n’aura pas lieu dans l’immédiat. Il faudra sûrement attendre 2028 pour constater une bonne reprise du marché. D’après ce que nous observons, les tendances restent positives, notamment pour le marché résidentiel en Europe. Cette reprise se fera grâce à la stabilisation du marché, à l’électrification des bâtiments et des transports, aux nouveaux modèles économiques qui apparaissent déjà comme le leasing, notamment. Il faut s’attendre à avoir autour de 2,5 millions d’installations par an sur le continent d’ici 2030. Je parle essentiellement des panneaux en toiture.
OE : Dans ce contexte européen, où se situe la France ?
MPJ : C’est l’opposé des pompes à chaleur. Sur les pompes à chaleur, la France est numéro 1, sur le photovoltaïque, elle est très en retard par rapport à ses voisins. Fin 2023, on était à 800 000 installations en toiture.
OE : Pourquoi ?
MPJ : Historiquement, la France a les prix de l’électricité les plus bas d’Europe donc, la nécessité de recourir aux panneaux était moins grande que dans les autres pays du continent. A cela, il faut ajouter le manque de soutien des pouvoirs publics dans le développement de la filière.
Les décisions qui seront prises pour l’après-ARENH vont fortement impacter le développement du photovoltaïque.
OE : Quelles sont les perspectives pour le photovoltaïque en France, de fait ?
MPJ : On s’attend à ce que la filière s’intensifie du fait de la réglementation, notamment la RE2020, exigeant des maisons autosuffisantes ou à énergie positive. Le principal soutien politique, aujourd’hui, sont les tarifs d’achat et les bonus d’investissement dans l’autoconsommation. Malheureusement, à l’heure actuelle, les tarifs d’achat n’incitent pas ceux qui produisent du photovoltaïque à l’autoconsommer. C’est plus intéressant de le mettre directement dans le réseau. Il y aura une tendance vers une plus grande autoconsommation une fois que le taux généreux actuel du tarif d’achat sera réduit. Pour l’heure, la France n’exploite que 5 à 6% du potentiel de son marché, donc ce-dernier est loin d’être saturé. On peut imaginer arriver à plus de 300 000 nouvelles installations par an, à partir de 2030.
La hausse des prix de l’énergie à laquelle on peut s’attendre dans les années à venir va également booster le marché du photovoltaïque en France car particuliers comme entreprises vont chercher à se protéger contre les factures élevées. L’électrification accrue va aussi jouer un rôle en obligeant les agents économiques à évoluer dans un écosystème qui devra être autosuffisant. Mais le plus grand bouleversement à venir reste la fin de l’ARENH. Les décisions qui seront prises pour l’après-ARENH vont fortement impacter le développement du photovoltaïque, dans un sens ou dans l’autre. Il faut attendre et voir.
OE : Qu’en est-il pour le photovoltaïque dans le secteur industriel ?
MPJ : Les industriels se sont tournés vers le photovoltaïque pour se protéger contre la volatilité des prix. A l’échelle européenne, on s’attend à 25 GW installés par an à partir de 2030. Ce qui est intéressant c’est que l’installation de panneaux est obligatoire pour les grands bâtiments commerciaux et industriels afin de réduire leur consommation d’énergie et de solariser leurs toitures dans certains pays dont la France, avec la loi APER (ombrières photovoltaïques sur les parkings existants de plus de 2 500m²).
OE : Parlons des conséquences néfastes à l’accélération de l’électrification de l’économie.
MPJ : Les réseaux sont de plus en plus congestionnés. Certaines demandes de raccordement peuvent être refusées ou, avoir des délais de réponse extrêmement longs. C’est le cas aux Pays-Bas qui ont massivement adopté les pompes à chaleur et le photovoltaïque. Idem au Royaume-Uni. Il est nécessaire d’avoir, dans les deux cas, des politiques plus claires pour améliorer les infrastructures. En France, on a moins ce problème de saturation grâce au réseau plutôt solide pour l’instant.
La domination chinoise (…) incite l’Europe à agir contre cette dépendance pour avoir une transition énergétique plus autonome et plus durable.
OE : Passons à la Chine dans le photovoltaïque. Pourquoi et comment est-elle championne de la filière ?
MPJ : Il y a plusieurs facteurs clés, stratégiques et économiques à la fois, dont vous vous doutez. Il y a un investissement massif dans les R&D, pour réduire les coûts tout en améliorant l’efficacité des panneaux. La Chine n’est pas seulement leader dans la fabrication à bas coûts mais elle progresse aussi dans les technologies avancées. Le deuxième facteur est l’économie d’échelle. Les Chinois ont développé une chaîne d’approvisionnement intégrée pour la fabrication des panneaux. Ils couvrent toutes les étapes, que ce soient les modules, les cellules. Le troisième facteur c’est une main d’œuvre abondante et compétitive. C’est historiquement moins coûteux de produire en Chine, sans compter les prix de l’énergie inférieurs à ceux que l’on connait en Europe. Quatrième facteur : la domination du marché mondial. Les Chinois produisent entre 60 et 70% des panneaux solaires dans le monde. Ils ont donc la possibilité de répondre à une demande internationale avec des prix compétitifs. Cinquième et dernier facteur : l’accès aux matières premières ; donc un accès privilégié pour les traitements et matériaux qui sont essentiels pour les technologies solaires.
OE : Quelles conséquences concrètes cette domination a sur le reste du monde et l’Europe, en particulier ?
MPJ : Cette position dominante soulève des défis pour les autres régions. L’Europe cherche à développer son autonomie industrielle en la matière mais, c’est compliqué avec les fabricants chinois qui offrent un produit à des prix inférieurs aux entreprises européennes. La conséquence est que certains acteurs du vieux continent ont du mal à rivaliser voire simplement survivre face à la concurrence chinoise. Ils sont obligés de réduire leur activité ou de se retirer du marché, ce qui freine le développement de l’industrie régionale.
En plus de cela, l’Europe a du mal à développer une chaine d’approvisionnement indépendante ce qui limite sa capacité à atteindre cette autonomie stratégique qu’elle souhaite – pas uniquement dans le photovoltaïque mais dans le secteur des énergies renouvelables en général. L’Europe se retrouve dépendante de la Chine sur un certain nombre de technologies.
OE : Peut-on, malgré tout, imaginer des opportunités dans le futur ?
MPJ : Une politique industrielle européenne se met peu à peu en place afin de stimuler la production régionale. Les subventions peuvent privilégier les produits fabriquer en Europe. Mais encore faut-il définir ce qu’est un produit « fabriqué en Europe ». Est-ce l’assemblage ? Sont-ce tous les composants ? C’est ce qu’il faudra définir si l’Europe décide de prendre cette route. Par ailleurs, les fonds publics et privés soutiennent de plus en plus les entreprises européennes innovantes afin de renforcer leur compétitivité. Donc, le monopole chinois freine clairement l’industrie européenne mais on peut voir le bon côté des choses : il incite l’Europe à agir contre cette dépendance pour avoir une transition énergétique plus autonome et plus durable.
D’ailleurs, si la Chine est aujourd’hui leader, elle est touchée, comme tout le monde, par le déclin du marché de la transition en 2024, dont je vous parlais. On prévoit une stagnation, voire des sorties du marché chinois de la part de certains fabricants. Enfin, compte tenu des restrictions commerciales que l’Europe et les Etats-Unis imposent à la Chine (droits de douanes, sanctions limitant l’accès des marchés européen et américain), la Chine pourrait, à terme, se détourner et de ces deux régions du monde pour se diriger vers les émergents – qu’il s’agissent des pays d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique.
Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie