L'ARENH va prendre fin. Pour Opéra Energie, Patrice Geoffron revient sur l’importance de ce dispositif et sur ce qui nous attend pour 2026.
Patrice Geoffron

Nous sommes entrés dans la dernière année du mécanisme de l’ARENH qui disparaitra après le 31 décembre prochain. Retour sur l’importance de ce dispositif né il y a 15 ans, sur ce que son arrêt implique et sur ce que l’après-ARENH nous réserve, avec Patrice Geoffron, directeur du Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières premières de l’université Paris-Dauphine.

Opéra Energie : Quand et pourquoi le mécanisme a-t-il été créé ?

Patrice Geoffron : L’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) a été créé en 2011, dans le prolongement de la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité) destiné à ouvrir le marché français de l’électricité à la concurrence, tout en permettant aux consommateurs de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire historique. Ce mécanisme visait à donner un accès à l’électricité nucléaire d’EDF à un prix prédéfini (40 puis 42 €/MWh) et pour un volume maximal (100 TWh), pour rendre le marché français « contestable » par des fournisseurs alternatifs, cela en réponse aux exigences européennes – en partageant ainsi la « rente nucléaire ».

OE : Quel rôle a-t-il joué dans la crise de l’énergie dont nous sortons à peine ?

PG : La crise énergétique de 2022 a conduit à une adaptation exceptionnelle de l’ARENH pour protéger les consommateurs et soutenir les fournisseurs alternatifs face à la flambée des prix de l’électricité. La mesure phare de cette adaptation a été l’augmentation du plafond ARENH de 100 TWh à 120 TWh. Cette hausse de 20 TWh a été mise en place à partir du 1er avril jusqu’à la fin de l’année, avec un prix fixé à 46,2 €/MWh pour ce volume supplémentaire (alors que le prix de l’électricité, sur le marché de gros, a dépassé les 250 € durant cette année). La Commission de Régulation de l’Énergie a été chargée d’attribuer ces volumes additionnels aux fournisseurs éligibles. Cette adaptation exceptionnelle du mécanisme a ainsi joué un rôle crucial dans l’atténuation de l’impact de la crise énergétique, mais avec un impact considérable sur les finances d’EDF, qui a enregistré une perte voisine de 18 milliards d’euros en 2022, dont environ 8 milliards attribuables à ce rehaussement de l’ARENH, dans un contexte où une partie du parc a dû être mis à l’arrêt à la suite des problèmes de corrosion sous contrainte, apparus sur certains réacteurs. Un bilan de la mesure a été établi pour alimenter la réflexion sur la régulation de l’accès à l’électricité nucléaire historique après 2025.

OE : Pourquoi mettre fin à l’ARENH en 2026 ?

PG : Il a d’emblée été conçu comme un dispositif transitoire, destiné à s’éteindre fin 2025. Comme tous les dispositifs de « régulation asymétrique » censés permettre l’ouverture d’un marché à la concurrence, qui traitent différemment un opérateur historique et ses concurrents, dans l’énergie mais également dans les télécoms par exemple ; il faut prévoir une « sunset clause », c’est-à-dire l’extinction du dispositif, moment généralement délicat. La fin de l’ARENH s’inscrit dans une volonté de normaliser le marché français de l’électricité et de le rapprocher des pratiques européennes. De toute façon, un dispositif défini il y a une quinzaine d’années – dont la conception remontait même à la Commission Champsaur, mandatée par le gouvernement en 2009 – nécessitait une remise à plat.

la fin de l’ARENH conduit à une cristallisation du débat sur les difficultés du système électrique français.

OE : Est-ce judicieux de se passer de ce dispositif ?

PG : La fin du dispositif permettra une meilleure rémunération pour EDF, avec un prix de référence passant de 42 €/MWh à environ 70 €/MWh, indispensable à l’entreprise pour financer ses investissements. Mais, fondamentalement, la fin de l’ARENH conduit à une cristallisation du débat sur les difficultés présentes et à venir du système électrique français : capacité à assumer les investissements dans les moyens de production (grand carénage, nouveau nucléaire, renouvelables, …) et les réseaux, tout en préservant des prix relativement bas pour les ménages et la compétitivité des électro-intensifs, dynamisation de la demande en accélérant les transferts (véhicules électriques, pompes à chaleur) et les nouveaux usages (électrolyseurs, datas centers, …). À l’issue des chocs du COVID et de la crise énergétique de 2022 et dans un contexte d’instabilité politique durable, on ne peut pas dire que ce débat essentiel soit instruit sereinement et que les légitimes clarifications attendues de l’ensemble des acteurs soient apportées au bon rythme… D’ailleurs, les textes réglementaires du dispositif post-ARENH n’ont pas encore été publiés à ce jour.

OE : Comment fonctionnerait le mécanisme de compensation avec des paliers de plafonnement à 70, 78 et 110 € / MWh ?

PG : Un prix moyen de référence de 70 €/MWh a été fixé visant à couvrir les coûts de production d’EDF tout en assurant un niveau de prix stable pour les consommateurs. Lorsque le prix de vente moyen dépassera le seuil de 78-80 €/MWh, un premier mécanisme de redistribution se déclenchera. Dans ce cas, 50 % des revenus supplémentaires, au-delà de ce seuil, seront redistribués aux consommateurs. A partir de 110 €/MWh, 90 % des revenus excédentaires d’EDF seront captés et redistribués aux consommateurs sous la forme d’un « Versement Universel Nucléaire » . Ce système sera réévalué régulièrement, avec des rencontres prévues tous les six mois entre les parties prenantes pour ajuster, si nécessaire, la structure de régulation en fonction de l’évolution du marché de l’électricité.

OE : Ce modèle vous paraît-il pertinent ?

PG : Il offre une certaine flexibilité et tente de trouver un équilibre entre les intérêts d’EDF et ceux des consommateurs. Le prix de référence de 70 €/MWh devrait permettre à EDF de mieux couvrir ses coûts de production et d’investissement, ce qui est crucial pour maintenir et moderniser le parc nucléaire français, tout en partageant l’effet d’aubaine en cas de hausse des prix. Si les avis négatifs exprimés par l’AFIEG, le CLEEE et les industriels intensifs sont naturellement cohérents avec leurs intérêts respectifs, ils alertent surtout sur l’impossible quadrature du cercle : investir massivement dans le système électrique, sans réduire le différentiel de prix de la France par rapport à ses voisins, tout en encourageant les transferts d’usage.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.