Patrice Geoffron, directeur du CGEMP, nous éclaire sur la réforme du marché européen de l'électricité et les tensions qu'elle génère.
Le mécanisme des CfD garantit une stabilité des revenus pour le producteur tout en protégeant les consommateurs contre des prix excessivement élevés.

La réforme du marché européen de l’électricité, présentée pour la première fois en mars 2023 à Bruxelles, a donné lieu depuis lors à de vives discussions entre les pays membres. Avec pour but de stabiliser les prix pour les consommateurs et accroître les investissements dans les énergies décarbonées, que nous réserve ladite réforme ? Patrice Geoffron, directeur du Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières Premières à l’université Paris Dauphine, nous éclaire.

Opéra Energie : Pourquoi réformer le marché européen ?

Patrice Geoffron : La crise énergétique de 2022 a mis en lumière la vulnérabilité du système actuel face aux fluctuations des prix des combustibles fossiles, notamment du gaz. La réforme cherche donc à découpler les prix de l’électricité de ceux du gaz, à les rendre plus prévisibles et moins volatils, et à protéger les consommateurs contre les hausses brutales. Cette réforme a pour ambition d’accélérer la transition énergétique, visant à favoriser les investissements dans les énergies renouvelables, à faciliter leur intégration dans le réseau et à soutenir la flexibilité du système électrique. Enfin, la réforme vise à améliorer le fonctionnement du marché intérieur de l’électricité. Cela implique une harmonisation accrue des règles entre les États membres, une facilitation des échanges transfrontaliers d’électricité et un renforcement de la coordination entre les opérateurs de réseau.

OE : Pouvez-vous nous décrire le principe des CfD* ?

*Contracts for Difference

PG : Dans le cadre de la réforme du marché européen de l’électricité, les Contrats pour Différence sont un mécanisme clé visant à stabiliser les prix de l’électricité et à encourager les investissements dans les énergies propres. Un CfD est un contrat à long terme conclu entre un producteur d’électricité bas carbone et une autorité publique. Le principe fondamental des CfD repose sur un « prix d’exercice » fixé à l’avance. Lorsque le prix du marché de l’électricité est inférieur à ce prix d’exercice, l’autorité publique compense le producteur en lui versant la différence. À l’inverse, si le prix du marché dépasse le prix d’exercice, c’est le producteur qui reverse l’excédent à l’autorité publique. Ce mécanisme garantit ainsi une stabilité des revenus pour le producteur tout en protégeant les consommateurs contre des prix excessivement élevés.

OE : Pourquoi s’opposer à leur application pour le nucléaire existant ?

Patrice Geoffron : L’opposition à l’application des contrats pour différence au nucléaire existant reposait sur plusieurs arguments, bien que la situation ait évolué depuis les premières discussions. Certains pays, notamment l’Allemagne ou l’Autriche, craignent que les CfD sur le nucléaire existant créent une distorsion de concurrence au sein du marché européen de l’électricité. Ils estiment que cela favoriserait indûment les entreprises françaises en leur donnant accès à une électricité bon marché grâce au parc nucléaire d’EDF.

OE : Quels sont les autres points d’achoppement entre les différents États membres, dans cette réforme ?

PG : Bien que leur utilisation ait été approuvée, certains pays comme l’Allemagne et l’Autriche continuent d’exprimer des inquiétudes quant à leur impact potentiel sur la concurrence et les incitations à investir dans les énergies renouvelables. La vitesse de mise en œuvre de la réforme constitue également un point de friction. Certains États membres, notamment ceux du Forum pentalatéral de l’énergie, souhaitent avancer plus rapidement que le calendrier proposé par la Commission européenne, en particulier sur les questions de flexibilité du réseau. Ils estiment que des actions immédiates sont nécessaires pour bénéficier rapidement des avantages de la réforme. Le degré d’intégration du marché européen de l’énergie reste un sujet de désaccord. Certains pays sont réticents à une intégration plus poussée, craignant une perte de contrôle sur leur mix énergétique national ou une hausse des prix pour leurs consommateurs. D’autres, en revanche, plaident pour une approche plus harmonisée au niveau européen.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.