Sven Rösner directeur de OFATE parle des objectifs 2030, de la décarbonation des transports ainsi que de l'hydrogène

La transition énergétique est devenue, au fil des ans, le leitmotiv de nombreux gouvernements en Europe, au point où l’on est en droit de se demander s’il s’agit de véritables volontés politiques ou de simples slogans de campagne. L’Office Franco-Allemand pour la Transition Energétique (OFATE), qui est au soutien des ministères de l’environnement des deux fers de lance de l’Union Européenne, s’assure depuis 2006 que les velléités de décarbonation ne demeurent pas des vœux pieux. Rendez-vous aujourd’hui avec son directeur, Sven Rösner, qui nous présente l’organisation, ses actions, sa vision de la transition énergétique et les enjeux majeurs qui l’accompagnent.

Sven Rösner directeur de OFATE
Sven Rösner, directeur de l’OFATE

Opera Energie : Pouvez-vous nous parler de votre parcours jusqu’à votre arrivée à la tête de l’OFATE ?

Sven Rösner : Je suis économiste de formation. J’ai fait mes études en Allemagne et en Angleterre. Je suis arrivé en France en 2004 et j’ai commencé à travailler à Lyon dans le secteur automobile, chez Renault Trucks. En 2008-2009, durant la crise, j’ai tiré la conclusion qu’il y aurait une rupture dans cette filière, car c’est la seule technologie majeure qui n’avait pas évolué depuis une centaine d’années. On voyait les problèmes structurels de la filière durant cette crise. Je me suis dit que c’était le bon moment de faire quelque chose tourné vers l’avenir.

J’ai intégré une entreprise, toujours lyonnaise, chargée de faire des études de faisabilité dans le secteur du photovoltaïque. Avec ça, j’ai à la fois compris les chaines de valeurs, les différents facteurs importants d’un projet d’énergies renouvelables. A la même époque, j’ai commencé à écrire des papiers pour l’Office Franco-Allemand pour les Energies Renouvelables, comme il s’appelait à l’époque.

En 2014, à la suite d’une convention signée entre les gouvernements français et allemand, il y eu un ‘’reboot’’ de la structure et la création d’un bureau à Paris. La directrice m’a appelé pour me demander si j’étais partant pour en devenir le directeur adjoint. J’ai trouvé l’opportunité intéressante car elle correspondait exactement à ce que je voulais faire : identifier et comprendre les facteurs déterminants pour la transition énergétique. J’ai donc intégré la structure en 2014. Je suis devenu directeur en 2016.

OE : Quelles sont les prérogatives de l’OFATE ?

SR : Notre mission est toujours la recherche et la diffusion d’informations – via la rédaction de notes de synthèse qui regroupent les informations principales- ainsi que leur transcription dans un langage qui permet aux différents acteurs de se mettre à un niveau qualifié sur la question. C’est-à-dire que nous cherchons à créer une compréhension commune des enjeux de la transition énergétique et des différentes solutions qui existent pour éviter des écueils.

Nous organisons aussi des conférences. Nous avons 25 manifestations par an, avec toutes les parties prenantes.

On veut travailler sur les points controversés pour voir s’il n’y a pas des moyens de surmonter les problématiques. Nous proposons environ 50 documents par an, pour fournir des informations digestes, sans chercher à orienter le débat. Nous n’avons ni recommandations ni conclusions dans nos papiers. L’objectif est vraiment d’informer.

Notre rôle est de fournir un état des lieux sur les régulations en mettant l’accent sur une mesure qui a bien fonctionné pour que l’on puisse s’en inspirer. Par exemple, nous avons contribué au mécanisme de soutien pour les énergies renouvelables, qui a été bâti en France en 2015 ; ou encore, nous avons participé à la définition du système des appels d’offres en Allemagne. On a travaillé sur la réglementation de l’efficacité énergétique, aussi. On nous consulte sur pas mal de questions : la biodiversité, l’intégration aux réseaux etc. Bref, toutes les questions qui peuvent émerger concernant la transition énergétique.

OE : Qui compose l’OFATE et comment l’organisation fonctionne-t-elle en interne ?

SR : Actuellement nous sommes 19. 9 à Berlin et 10 à Paris. Nous avons de tout. Des mathématiciens, des politologues, des techniciens, des géographes, des urbanistes. On a une grande variété de profils. C’est une force d’avoir cette diversité. A travers ces différentes formations, on a une pluralité de façons d’analyser un problème. Ce n’est pas tant une différence de culture allemande ou française mais une hétérogénéité dans nos bagages académiques.

Nous sommes financés à 50% par les pouvoirs publics, 50% par les adhésions. Nous avons actuellement 260 adhérents qui représentent l’ensemble des maillons de la chaine de valeurs de la transition énergétique- de l’équipementier au consommateur d’énergie. En échangeant avec tous ces acteurs, nous avons une assez bonne visibilité sur les problématiques qui émergent. Nous avons aussi des échangent réguliers avec les ministères, la CRE et son équivalent en Allemagne. Ainsi, nous avons l’une des visions les plus complètes sur la transition énergétique en France et en Allemagne. Einstein a dit « réfléchir c’est relier les points ». C’est ça notre rôle.

Nous soutenons les gouvernements français et allemand auxquels nous sommes rattachés. Ici, à Paris, je suis au ministère de la Transition énergétique et mes collègues à Berlin sont hébergés par le ministère Fédéral de l’économie et du climat. Nous travaillons donc avec les différents services des ministères et également sur la coopération entre les deux ministères. On organise des réunions. En lisant la presse on a la sensation que les relations entre la France et l’Allemagne sont au point mort sur la question énergétique, alors qu’il y a pas mal de choses qui se passent en coulisses. Et nous participons à cela.

OE : Quels sont les accomplissements notables de l’OFATE ?

SR : L’idée, dès le départ, était de créer un réseau qui pouvait servir aux administrations pour échanger des bonnes pratiques mais aussi pour que les industriels s’appuient sur un réseau pour bâtir des projets communs, partager des technologies, coopérer dans la recherche et le développement. Ça a été élargi par la suite sur l’éolien terrestre, le photovoltaïque, les bioénergies, les questions liées à l’intégration aux réseaux et aux marchés, la commercialisation des énergies renouvelables et leur intégration dans le système électrique.

En 2016, nous avons reçu une nouvelle mission sur l’efficacité énergétique dans le bâtiment et la chaleur. Ensuite, ça a évolué vers l’efficacité énergétique et la décarbonation de l’industrie. Nous avons également créé un pôle qui traite les questions sociétales autour de la transition énergétique, comme les Gilets jaunes ou Fridays For Futur. Nous avons mis sur pied un pôle hydrogène tout récemment, en mai 2023. Les gouvernements ont mis un peu de temps pour se mettre d’accord sur la question car elle touche aussi à la problématique du nucléaire. A partir de l’année prochaine nous allons travailler sur la mobilité durable.

2022 a changé pas mal de choses. C’est devenu une question de survie que de maîtriser ses coûts (…) et sa consommation. Pas pour le climat nécessairement, mais pour son budget.

OE : « Transition énergétique » est devenue une expression constamment utilisée par les Etats, les entreprises et les médias, sans pour autant que l’on sache exactement de quoi il en retourne. Pourriez-vous nous en donner une définition ?

SR : C’est la question fondamentale que ne se pose pas assez le monde politique. La transition énergétique ce n’est pas remplacer le thermique par l’électrique, ce n’est pas une éolienne. Il y a plein d’aspects qui vont impacter le comportement quotidien de chacun.

Si nous regardons notre mix énergétique en France aujourd’hui, 75% de l’énergie consommée est fossile et c’est pour ça que l’on se voile la face sur ce débat entre la France et l’Allemagne, concernant le nucléaire. A l’heure actuelle, on n’est pas du tout en route vers l’âge décarboné, on vit dans l’âge du pétrole. Ça n’a quasiment pas changé depuis les années 1960 dans la répartition des parts du pétrole et du gaz dans le mix énergétique.

Si l’on souhaite réellement arriver à un mix énergétique décarboné d’ici 2050, il va falloir complètement changer de braquet. Et cela entraînera des conséquences. Les sociétés devront décider si elles désirent cela ou non, mais il est essentiel de jouer carte sur table avec les gens. Il ne s’agit pas de vouloir une technologie et pas une autre. Il faut se donner beaucoup plus de moyens, il faut être beaucoup plus ouvert à la fois sur la génération d’électricité et sur la consommation. Si l’on veut atteindre cet objectif, remplacer une voiture thermique par une voiture électrique ne suffira pas. La consommation d’électricité sera telle qu’elle ne pourra pas être fournie par les ressources que nous aurons en 2050.

OE : Voyez-vous une évolution dans la prise de conscience des Etats, des collectivités locales, des entreprises, dans la nécessité d’une transition énergétique ?

2022 a changé pas mal de choses. Avant, on avait cette notion que l’électricité venait de la prise et l’année dernière a fait comprendre aux ménages et aux entreprises que ce n’était pas vrai. C’est devenu une question de survie que de pouvoir s’approvisionner en électricité et de maîtriser ses coûts. On a commencé à se demander si ce n’était pas une bonne idée que de maîtriser sa consommation. Pas pour le climat nécessairement, mais pour son budget.

En Allemagne, l’envie de devenir plus autonome sur le plan énergétique a grandi avec l’invasion russe en Ukraine.

OE : Quelles sont les différences fondamentales entre la France et l’Allemagne dans le processus de transition énergétique ?

SR : Le rôle de l’Etat vis-à-vis de l’industrie est très différent selon que l’on se trouve en France ou en Allemagne. En Allemagne il y moins d’intervention de l’Etat dans la structuration de l’industrie. Depuis la crise 2008-2009, la part de l’industrie dans le PIB est deux fois plus importante en Allemagne qu’en France. Alors qu’avant la crise les choses étaient assez similaires, une grande partie de l’industrie française a disparu ou s’est délocalisée. De fait, il y a eu la volonté en France de voir les équipements de la transition fabriqués sur son sol (panneaux photovoltaïques etc.). En Allemagne, on se disait plutôt : « si la demande est là, l’offre va se créer aussi ». Là, est la première différence.

Ensuite, si l’on se focalise sur le spectre français, il y a une question de chômage alors qu’en Allemagne il y a un besoin de main-d’œuvre. Les objectifs de 2030 nécessitent 500 000 emplois pour l’administration, pour les chantiers, pour la maintenance que l’on ne trouve pas aussi facilement. Or, en France, il y a une main d’œuvre disponible.

Du coup, je trouve que c’est une bonne idée que le gouvernement français adresse ces besoins au travers de la loi Industrie verte. Ces besoins qui se créent et l’agression russe en Ukraine, nous obligent à nous demander à quel point souhaitons-nous dépendre de pays dont nous ne voulons pas vraiment dépendre ? Ce n’est pas uniquement le gaz russe, cela peut être les panneaux chinois (qui représentent 95% des panneaux photovoltaïques vendus dans le monde). Quelle position de négociation on se donne si la Chine attaquait Taïwan ? Si l’on s’oppose et que les chinois disent « plus de panneaux », ça veut dire « plus de transition énergétique ».

OE : Depuis son arrivée au pouvoir à l’automne 2022, la Présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni répète, à qui veut l’entendre, qu’elle souhaite faire de l’Italie « un hub énergétique d’Europe ». Peut-on imaginer, à l’avenir, un élargissement de l’OFATE, avec l’intégration de l’Italie ?

SR : C’est la blague du moment, chez nous. Si jamais il y avait un élargissement vers l’Italie, qui gèrerait le bureau de Rome ? L’idée me plaît [rire]. Mais, plus sérieusement, pour être un acteur conséquent de la transition énergétique, il faut être du côté du fournisseur, pas du consommateur. Or, l’Italie est déjà un hub énergétique en ce sens que le pays importe énormément d’énergie. Et travailler avec Giorgia Meloni, je ne peux l’imaginer.

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opera Energie.

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.