
Alors que l’électrification des usages est devenue une priorité pour la transition énergétique, la France fait face à un paradoxe inattendu : une surproduction d’électricité, en grande partie due à l’essor du solaire et de l’éolien, dans un contexte de demande stagnante. Cette situation soulève des inquiétudes croissantes sur la stabilité du réseau, la soutenabilité économique du modèle, et la place du nucléaire dans le mix énergétique.
Surproduction électrique : le revers du succès renouvelable
En avril, le quotidien La Tribune alertait : « La France produit trop d’électricité, au risque de faire sauter la banque ». Un constat partagé par de nombreux acteurs du secteur énergétique, qui s’inquiètent d’un déséquilibre croissant entre une offre en forte expansion — notamment du côté des énergies renouvelables — et une demande qui ne suit pas le même rythme. Luc Rémont, ancien PDG d’EDF, soulignait devant le Sénat le 22 avril : « Il va nous falloir veiller, dans les toutes prochaines années, à ce que ce déséquilibre entre sources commandables [notamment le nucléaire] et sources intermittentes [les renouvelables] ne vienne pas grever la stabilité du système, soit sur le plan physique, soit sur le plan économique. C’est vraiment le plus grand défi auquel nous sommes confrontés ».
Face à cette surproduction, Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE, a appelé à « ralentir la cadence du développement de l’éolien et du solaire », dans Les Échos du 30 avril, estimant que « la demande a pris du retard ». Une position qui alimente le débat dans la classe politique où certains dénoncent l’intermittence de ces sources.
Réinventer le système électrique ?
Cette abondance ponctuelle d’électricité met en lumière les failles du système actuel. En avril, RTE a dû rappeler les règles de participation des producteurs au mécanisme d’ajustement, garant de l’équilibre offre-demande. Olivier Houvenagel, directeur de l’économie du système électrique chez RTE, confirme : « Les situations d’abondance de production qui se multiplient posent des questions de coordination pour l’équilibrage à court terme ».
Le phénomène des prix négatifs, indicateur économique de cette surproduction, prend de l’ampleur. En 2024, ces prix ont concerné 359 heures, pour un coût estimé à 80 millions d’euros. Si cela peut sembler inquiétant, Laurent Néry, directeur des analyses de marché chez Engie, tempère : « Les prix négatifs ne sont pas une surprise et des solutions existent pour y répondre. Ils sont le symptôme d’une situation où l’on manque de flexibilité ».
Les experts appellent donc à adapter les infrastructures et les règles. Robin Girard, directeur de recherche à Mines Paris PSL, insiste : « Produire plus que l’on consomme est globalement positif : vendre de l’électricité à nos voisins est bon pour notre balance commerciale ». En 2024, les exportations d’électricité ont rapporté 5 milliards d’euros à la France.
Mais cette surproduction impose aussi au nucléaire de moduler sa production. L’amiral Jean Casabianca, inspecteur général de la sûreté nucléaire pour EDF, avertit dans un rapport : « La modulation s’est transformée en contrainte », impactant potentiellement la sûreté des installations.
Mieux piloter la transition énergétique
La panne de courant géante du 28 avril en Espagne et au Portugal a ravivé les doutes sur la résilience du réseau face à une production renouvelable massive. Mais les experts s’accordent : les défis techniques liés à l’intermittence sont connus et des solutions existent. La France, dont le mix reste encore peu renouvelable, peut s’inspirer de ses voisins plus avancés.
Mettre en pause le développement des renouvelables aurait un effet délétère, selon Alexandre Joly, du cabinet Carbone 4 : « Il faut raisonner à long terme. Le cap, c’est électrifier, produire chez nous et décarboner. On peut peut-être modérer un peu le déploiement des renouvelables, mais certainement pas l’arrêter ».
L’ONG Réseau Action Climat partage cette analyse : « Pour être prêts à faire face à l’augmentation de la consommation électrique, l’augmentation de la capacité renouvelable est nécessaire, quitte à assumer une surproduction temporaire ». Enfin, Thomas Veyrenc, directeur général de l’économie et de la stratégie de RTE, le rappelle avec force : « Décarboner notre énergie n’est pas uniquement un enjeu climatique. Electrifier est tout simplement un moyen de produire l’énergie sur notre sol et de renforcer notre souveraineté ».
Source : Le Monde
Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.