Comment la France compte accélérer sa décarbonation industrielle
L’industrie demeure un acteur clé des émissions nationales de CO2, rendant impératif un renforcement des actions pour réduire son empreinte carbone.
Décarboner l’industrie, une priorité du gouvernement
Le 22 novembre dernier, l’Etat a annoncé la signature de contrats de transition écologique avec ses 50 plus grands sites industriels. Ces contrats visent une baisse de 45% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, soit 22 MtCO2eq annuellement, qui vient s’inscrire dans les objectifs climatiques de l’Union européenne : -55% en 2030 par rapport à 1990 et la neutralité carbone en 2050.
L’enjeu est de taille : ces sites représentent 60 % des émissions de l’industrie, et 10 % des émissions totales de la France.
« A vous seuls, vous représentez 10% de l’ensemble de nos émissions globales. De votre succès dépend l’atteinte de nos objectifs climatiques. » a ainsi rappelé la Première ministre Élisabeth Borne.
Des questions sur la maturité des technologies
Pour atteindre ces objectifs, l’État mise sur quatre piliers technologiques majeurs :
- l’électrification des processus industriels,
- l’exploitation de la biomasse,
- l’hydrogène décarboné
- le captage du carbone.
Problème : malgré des avancées significatives dans la recherche et le développement de ces technologies, certaines demeurent en phase de maturation.
La question du captage et stockage du carbone demeure notamment un défi… sans compter que cette technologie ne fait pas l’unanimité.
L’Energy Transitions Commission (ETC) a ainsi rappelé que certains secteurs comme l’industrie du ciment devront effectivement recourir au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone (CCUS) pour parvenir à une décarbonation totale. Mais, d’ici 2050, le volume annuel total de CCUS ne devrait atteindre que 4 milliards de tonnes.
Or, pour maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 1,5 °C, une réduction significative de l’utilisation des énergies fossiles devra être associée à l’absorption totale de 150 milliards de tonnes de CO2 par les mécanismes naturels de stockage de carbone.
« L’emploi du CCUS et des émissions négatives ne peut justifier le maintien du statu quo dans la production de combustibles fossiles, et il n’est ni prudent, ni crédible, d’envisager un rôle plus important de ces solutions. » alerte l’ETC.
Des aides financières aux contours flous
Une proposition d’aide financière à hauteur de 5 milliards d’euros avait été évoquée par Emmanuel Macron pour encourager les industries à accélérer leurs efforts de décarbonation. Pourtant, à ce jour, rien n’est encore bien concret.
Dans sa récente étude « Les grandes entreprises sur la voie de la sobriété énergétique », le Think Thank La Fabrique de l’Industrie pointe cette incertitude autour des aides financières, qui compromet les investissements dans des solutions de transition énergétique.
Quels sont les leviers de réduction des émissions carbone utilisés par les industriels ?
Selon l’enquête, les grandes entreprises privilégient toujours les méthodes traditionnelles pour accroître l’efficacité énergétique, comme l’optimisation de l’éclairage et du chauffage (pratiquées par 100% des répondants), l’usage de machines moins énergivores (86% des répondants) ou encore l’amélioration des équipements et des installations (83% des répondants).
Or, accélérer la réduction des émissions industrielles implique des actions plus ambitieuses, telles que l’électrification des machines ou la réduction des émissions issues des processus industriels. Aujourd’hui, ces initiatives ne sont portées que par un nombre restreint des acteurs industriels.
Le poids des investissements freine les industriels
« Cette prudence des grandes entreprises pose la question du soutien de l’État pour appuyer les plans d’investissements et assumer une partie du risque financier. » souligne l’étude.
La transition énergétique exige des dépenses importantes sans garantie immédiate de retour sur investissement, surtout dans un environnement concurrentiel exigeant. Ainsi, le coût élevé des investissements est identifié comme le principal obstacle à la transition énergétique pour les grandes entreprises.
« Celles-ci déplorent une faible visibilité sur la rentabilité de leurs investissements, a fortiori dans le contexte actuel d’inflation énergétique, et composent avec une réglementation en matière d’aides d’État plus stricte que pour les PME. »
Les inquiétudes portent également sur la tarification et la disponibilité des énergies décarbonées, telles que l’électricité issue des sources renouvelables ou l’hydrogène vert, nécessaires pour la sortie des combustibles fossiles.
Pas de caractère contraignant à la décarbonation
Les contrats de transition écologique ne comportent pas de sanctions directes pour les signataires en cas de non-atteinte des objectifs fixés. Ils sont davantage considérés comme des engagements moraux des industries participant à ces accords, même si le versement de subventions pourrait être subordonné à la tonne de CO2 évitée sur 15 ans.
Cette approche soulève des questionnements quant à son efficacité réelle pour assurer la concrétisation des réductions d’émissions attendues.
Plus largement, plusieurs experts soulignent la difficulté à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, malgré les actions entreprises. Même en tenant compte de la transition des 50 grands sites industriels, les projections indiquent que ces efforts ne suffiraient pas à combler l’écart pour atteindre les engagements climatiques établis. Cela impose une accélération significative des mesures et des innovations pour combler cet écart.