Réduire sa dépendance au gaz et au pétrole relève autant d'une question de souveraineté que d'une question climatique, pour l'Europe.
Les États-Unis renforcent leur emprise : un accord commercial prévoit des achats énergétiques européens pouvant atteindre 250 milliards d’euros par an, sur 3 ans.

Dans une tribune aux Echos, Patrice Geoffron, économiste et directeur du Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières premières de l’université Paris-Dauphine revient sur les intérêts divers de la décarbonation pour la France et l’Union européenne.

Réduire sa dépendance au gaz et au pétrole ne relève pas seulement d’un enjeu climatique pour l’Europe, mais bien d’une question de souveraineté. Face aux tensions géopolitiques et aux failles de la politique énergétique, le vieux continent doit accélérer leur transition pour s’émanciper de la Russie, du Moyen-Orient et même des États-Unis.

Une dépendance énergétique coûteuse et géopolitiquement risquée

Les atermoiements de la France et de l’Europe en matière de politique énergétique apparaissent préoccupants. L’Union européenne reste divisée sur le rythme de la décarbonation, tandis que Paris reporte sans cesse la publication de sa Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Pour Patrice Geoffron, membre du Cercle des Économistes, « il ne s’agit pas uniquement d’un manque d’engagement climatique, mais d’une incurie dans la compréhension des enjeux géoéconomiques de la transition énergétique ».

L’Europe, malgré son rôle pionnier dans la lutte climatique, demeure massivement dépendante : deux tiers de son modèle énergétique reposent encore sur le pétrole et le gaz importés. En 2022, cette dépendance a nécessité 600 milliards d’euros de boucliers tarifaires pour protéger ménages et entreprises. La France, de son côté, a importé 120 milliards d’euros d’hydrocarbures, soit plus du double de la normale, représentant +2,5 % de PIB.

Cette vulnérabilité énergétique place le continent dans une position de faiblesse face aux rapports de force mondiaux. La Russie reste une menace avérée, le Moyen-Orient demeure instable, et les États-Unis renforcent leur emprise : un accord commercial prévoit des achats énergétiques européens pouvant atteindre 250 milliards d’euros par an, soit trois fois le niveau de 2024. À cela s’ajoute le risque d’un « America First » ressurgissant si, par exemple, Washington décidait de conditionner ses exportations de GNL ou de les utiliser comme levier dans ses relations économiques et technologiques.

La Programmation pluriannuelle de l’énergie : une urgence nationale

Dans ce contexte, la France doit impérativement achever sa PPE. L’objectif fixé est clair : ramener la part des énergies fossiles à 30 % d’ici 2035, contre le double aujourd’hui. Cela suppose de développer rapidement les filières disponibles – renouvelables, réseaux de chaleur, efficacité énergétique – tout en préparant les technologies de demain, comme le nouveau nucléaire.

Mais l’enjeu ne se limite pas à l’offre : il s’agit aussi d’accompagner les nouveaux usages (véhicules électriques, pompes à chaleur, électrolyseurs, data centers), afin d’assurer une cohérence entre demande et production d’énergie décarbonée. Comme le souligne Patrice Geoffron, « par temps de contraintes drastiques, la transition ne doit pas être reléguée au second plan ».

Un an après la publication de son rapport, Mario Draghi a rappelé devant Ursula von der Leyen la nécessité d’investir 800 milliards d’euros par an, dont la moitié pour la transition énergétique. Pourtant, ses recommandations restent largement inappliquées.

L’enjeu est stratégique : la transition énergétique doit être placée au même niveau que la défense nationale. Car une certitude demeure, comme le rappelle Patrice Geoffron : « ni ce gouvernement, ni les suivants ne pourront recourir au “quoi qu’il en coûte” lors de la prochaine crise énergétique ».

Source : Les Echos

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste de presse écrite dans différents journaux et magazines pendant plus d’une décennie.
Spécialisé dans le secteur de l’énergie depuis 2023, il a la charge de la rédaction d’articles, de la conduite d’interviews ainsi que de la création de programmes pour Opéra Energie.