Post ARENH : pas de CFD sur le nucléaire par peur d’Hercule ?
Lors de l’audition de Marc Benayoun, Directeur exécutif d’EDF, par la Commission d’enquête sur les prix de l’électricité, les sénateurs se sont intéressés à la genèse de la nouvelle régulation, telle que présentée fin 2023.
Le Sénat interroge la pertinence de la nouvelle régulation du nucléaire
Le rapporteur Vincent Delahaye a tout particulièrement souhaité comprendre ce qui a poussé EDF à opter pour le mécanisme présenté le 14 novembre plutôt que pour des CFD.
Pour rappel, le mécanisme censé prendre le relais de l’ARENH en 2026 repose notamment sur un système de redistribution ex post des revenus nucléaires, aux modalités toujours imprécises.
Dans les grandes lignes, il n’y a pas de redistribution des recettes par EDF tant que le prix de l’électricité sur les marchés de gros est inférieur à 78 €/MWh. Si le prix s’établit entre 78 et 100 €/MWh, EDF doit reverser 50 % des recettes à l’Etat et 90 % si le prix dépasse le seuil de 110 €/MWH.
Les CFD ou Contracts For Difference sont quant à eux des instruments financiers garantissant au producteur une rémunération à prix fixe de l’électricité produite et un prix fixe d’achat pour le consommateur. Les CFD rétribuent les producteurs en cas de prix trop bas et les producteurs reversent le surplus à l’Etat si le cours sur le marché est supérieur au prix garanti.
« Les contrats pour différence apportent de la visibilité aussi bien au consommateur, pour savoir à combien il va acheter son électricité, qu’au producteur, qui a besoin de connaître à combien il va la vendre s’il veut investir », expliquait, en octobre 2023 aux Echos, Julien Teddé, directeur général du courtier Opéra Energie.
L’option des CFD avait un temps été mise sur la table pour prendre la suite de l’ARENH. Mais elle n’a pas été retenue.
Elle n’a d’ailleurs même pas fait partie des négociations autour de la nouvelle régulation qui ont eu lieu en 2023 précise Marc Benayoun.
La crainte d’Hercule
« Il n’est pas possible d’appliquer de CFD sur le parc nucléaire existant car Bruxelles exigerait une séparation des différents services d’EDF, ce qui serait onéreux pour le système électrique français et pour EDF » justifie le Directeur exécutif d’EDF. Ce dernier rappelle en revanche que les CFD seront bien appliqués au futur nucléaire.
« C’est donc la crainte d’Hercule qui a orienté votre choix » a résumé Vincent Delahaye.
Ce « choix » laisse d’ailleurs le sénateur dubitatif : en cas de baisse pérenne des prix comment EDF envisage-t-elle de « tenir » ?
Rien n’est en effet prévu dans le nouveau dispositif et cette lacune n’a pas manqué de soulever des questions chez plusieurs acteurs du secteur.
Que se passerait-il alors, monsieur le ministre ?
Le 16 janvier dernier, la sénatrice Christine Lavarde avait d’ailleurs interpellé Bruno Le Maire sur ce sujet, dans l’Hémicycle.
« Le mécanisme repose largement sur des prix de gros qui seraient supérieurs à 70 ou 78 euros du mégawattheure […] n’oublions pas que ces prix [de gros] ont pu s’établir durablement par le passé à des niveaux inférieurs. Dans ce cas, EDF ne serait plus capable de couvrir les coûts du nucléaire. Que se passerait-il alors, monsieur le ministre ? L’État viendrait-il à son secours ? » avait-t-elle alerté.
« Charge à EDF de constituer des réserves financières suffisantes lorsque les prix sont élevés de manière à pouvoir puiser dans celles-ci et dans sa trésorerie lorsque les prix sont bas. » avait alors répondu le ministre de l’Économie.
Pourquoi placer la production du futur nucléaire sous CFD ?
« Selon nos informations, Bruxelles était d’accord pour appliquer les CFD sur le nucléaire existant comme sur le nouveau. Si vous avez eu peur des CFD pour le parc nucléaire historique, pourquoi ne pas avoir la même appréhension pour les futurs réacteurs nucléaires ? » a de nouveau insisté Vincent Delahaye, que les explications de Marc Benayoun n’ont pas semblé convaincre.
Ce dernier s’est défendu en expliquant que de nouveaux projets nucléaires d’EDF, partout en Europe, ont été financés par des CFD, parce qu’il est difficile de financer des infrastructures nouvelles de ce type « avec le marché de gros tel qu’il est aujourd’hui constitué ».
Il clôt le débat en rappelant au Sénat que si l’Etat n’a pas évoqué la piste des CFD lors des négociations de l’année passée « c’est que les pouvoirs publics devaient partager l’analyse d’EDF ».