Tarifs réglementés de vente d’électricité : Décryptage d’un mode de calcul remis en cause
Suite à la recommandation de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) aux ministères de la Transition écologique et solidaire et de l’Économie et des Finances, les tarifs réglementés de vente d’électricité ont augmenté de 5,9%.
Rappelons que ces tarifs ne peuvent être commercialisés que par les fournisseurs dits historiques, c’est-à-dire présents sur le marché avant l’ouverture à la concurrence : autrement dit EDF et les Entreprises Locales de Distributions, actives sur des territoires délimités.
En réaction à cette augmentation, le gouvernement a dit vouloir changer le mode de calcul de ces tarifs réglementés ; mais quel est donc ce mode de calcul ?
Comment sont calculés les tarifs réglementés de vente de l’électricité ?
La formule de calcul des TRV a été fixée en 2010 par la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité ou loi NOME.
Depuis, les TRV sont calculés par une méthode dite « par empilement des coûts » des différents éléments de la filière. Cette formule se veut plus représentative des coûts théoriques d’un fournisseur alternatif, afin de favoriser la contestabilité des TRV (faculté pour les fournisseurs alternatifs de proposer aux clients finals des offres de marché compétitives par rapport aux tarifs réglementés).
Cela revient ainsi à additionner :
- La composante « production », qui correspond à la somme :
– du coût de l’accès régulé à l’électricité nucléaire, en fonction du prix de ARENH,
– du coût de l’approvisionnement sur les marchés de gros de l’électricité
– du coût de l’approvisionnement en capacité
- La composante « acheminement », soit le TURPE
- La composante « commercialisation » soit les coûts de commercialisation, marge du fournisseur y comprise.
À cela s’ajoutent différentes taxes : contribution tarifaire d’acheminement (CTA), contribution au service public de l’électricité (CSPE), taxes sur la consommation finale d’électricité (TCFE) et TVA. Et ces taxes n’ont pas une moindre importance, au contraire !
Zoom sur : la décomposition du prix de l’électricité en France
- énergie et fourniture (coût de production et/ou d’achat de l’électron + coûts commerciaux) : 1/3 facture
- acheminement : 1/3 facture
- fiscalité : 1/3 facture
Comment est-il possible que des tarifs réglementés aient continué d’exister après l’ouverture à la concurrence ?
Il nous faut tout d’abord revenir à l’orée des années 2000. L’Union Européenne est en pleine construction de son marché intérieur de l’énergie. La situation internationale rend indispensable la mise en place d’une politique européenne de l’énergie forte et unifiée. La tension qui, déjà, pèse sur l’accès aux ressources fossiles n’est pas près de s’améliorer au vu de l’évolution de la demande énergétique mondiale. Par ailleurs, les défis liés à la lutte contre le changement climatique imposent un profond changement du système énergétique communautaire.
Pilier d’un marché de l’énergie unique, la libéralisation du secteur de la fourniture de l’électricité a été introduit dans la législation européenne dès 1996 pour l’électricité. En France, elle sera véritablement actée en 2007.
L’ensemble des consommateurs sont désormais éligibles aux offres de marché, par opposition aux tarifs réglementés de vente, un dispositif qui date d’après-guerre. De nouveaux opérateurs ont fait leur entrée, qui ne commercialisent pas de tarifs régulés et, entre autres, la non réversibilité (impossibilité de revenir aux tarifs réglementés) est de mise : mais cette disposition fera long feu sous la pression médiatique et politique face à des prix qui se sont envolés.
Le contexte économique est en effet bien moins favorable que 10 ans auparavant.
A l’époque, le marché européen était en surcapacité et le prix du pétrole aux alentours de 20 euros le baril. Mais, en 2008, le prix du baril a dépassé les 100 dollars et les conséquences ont été immédiates sur le prix du gaz, indexé sur celui du pétrole, et, par conséquent sur celui de l’électricité issue des centrales thermiques… source majeure d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs.
Pour les consommateurs industriels en offre de marché auprès des nouveaux entrants, la facture s’alourdit. Pour les consommateurs toujours aux TRV d’EDF, dont les prix sont décorrélés du marché puisque l’électricité est issue du parc nucléaire de l’opérateur, pas question de changer.
Retour sur la Loi Nome, à l’origine des tarifs réglementés de vente de l’électricité actuels
Le clivage est trop grand, le parlement fait machine arrière autorisant la possibilité d’un retour aux TRV des clients résidentiels et instaurant un nouveau TRV pour les entreprises, le Tartam. Naturellement, cette décision s’attire les foudres de le Commission européenne et ce pour une double raison : non seulement ces dispositions vont à l’encontre des directives de l’UE mais elles peuvent aussi être assimilées comme une subvention déguisée à EDF.
Pour tenter de satisfaire les différentes parties et sortir de l’impasse, le gouvernement français mettra alors en place une commission, présidée par Paul Champsaur en 2009. Répondant aux attentes de l’UE, elle préconisera notamment la fin des TRV jaune et vert pour les entreprises et professionnels avec une puissance de compteur supérieure à 36 KVA.
L’autre grand chantier de la commission Champsaur a aussi été de réfléchir à asseoir l’ouverture du marché au bénéfice des usagers.
Deux options étaient possibles :
- Soit taxer EDF du montant de la rente nucléaire de rareté (il s’agit de la différence entre le prix du kilowattheure et le coût réel du kilowattheure nucléaire), mais cela aurait fait porter à EDF le poids du marché.
- Soit permettre aux entrants d’acquérir une électricité moins coûteuse, autrement dit l’électricité nucléaire, et ce à son coût réel de production. La deuxième option l’emportera à ceci près que les entrants n’auront accès qu’à un volume limité de l’électricité nucléaire, 25 % soit 100 TWh sur les 400 TWh produits annuellement.
Ainsi est né l’ARENH, l’accès régulé au nucléaire historique, destiné à soutenir la compétitivité des industriels, en remplacement du Tartam. La Loi NOME en formalisera le dispositif et la construction tarifaire.
Le prix ARENH = les coûts d’exploitation des centrales + les coûts d’investissements de maintenance ou nécessaires à l’extension de la durée d’autorisation d’exploitation + les coûts prévisionnels de démantèlement des centrales et de gestion des déchets + le coût de rémunération des capitaux immobilisés.
Ce qui équivaut à 42 €/MWh : un montant supérieur au coût cash de l’électricien de 33 €/MWh , ainsi que le souligne la Société Française d’Energie Nucléaire (grand carénage compris) qui offre une marge de 9 euros à EDF.
La loi NOME avalisera également la fin des TRV C4 et C3 qui sera effective au 1er janvier 2016 et le maintien des TRV pour les consommateurs résidentiels et professionnels souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kVA avec, cependant, des changements dans leurs modalités de calculs et leurs règles de fixation.
Le coût de l’ARENH pour EDF sera notamment répercuté dans le calcul des nouveaux TRV « dans un délai s’achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs règlementés de vente d’électricité sont progressivement établis en tenant compte de l’addition du prix régulé à l’électricité nucléaire historique [le prix de l’ARENH], du coût du complément de fourniture d’électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d’acheminement de l’électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale » (article 13 de la loi du 7 décembre 2010).
Avant la loi NOME, les tarifs réglementés de vente de l’électricité étaient en effet calculés selon une méthode dite « comptable » : ils répercutaient uniquement les coûts supportés par EDF en tant que fournisseur d’électricité (charges d’investissement et d’exploitation du parc de production + charges et du réseau de transport et de distribution + charges de combustibles.) La CRE émettait déjà des recommandations mais qui n’étaient pas forcément suivies par le gouvernement, ce qui a pu conduire à un maintien de prix artificiellement bas qui ne reflétaient pas les coûts de la fourniture d’électricité d’EDF.
Depuis la loi NOME, les TRV sont donc calculés par « empilement des coûts ». En outre, les pouvoirs de la CRE ont été renforcés pour empêcher les risques de fixation tarifaire arbitraire.