Sven Rösner directeur de OFATE parle des objectifs 2030, de la décarbonation des transports ainsi que de l'hydrogène

Opéra Energie avait reçu en septembre dernier Sven Rösner directeur de l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) pour un entretien dans lequel il présentait son organisation, ses fonctions et prérogatives. Il décrivait aussi comment la crise de l’énergie a poussé particuliers, professionnels, entreprises et collectivités à penser et acter leur transition.

Dans cette seconde partie, Sven Rösner aborde cette-fois les objectifs à l’échelle de l’Allemagne et de l’Europe pour 2030, la difficile décarbonation des transports et le rôle que peut jouer l’hydrogène.

Opéra Energie : L’Allemagne a un objectif de 30% d’énergies renouvelables dans la production énergétique totale, d’ici 2030. Est-ce un objectif raisonnable ?

Sven Rösner : Un objectif peut avoir deux fonctions : il peut être un élément d’encouragement ou être un réel but à atteindre. En Allemagne, on a vu par le passé qu’un objectif était un réel but. D’ailleurs, ce taux de 30% sera revu à la hausse car des travaux sont en cours sur le Plan Energie Climat qui permettront d’avoir plus d’ambition encore.

OE : En 2022, la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables représentait 48,42%* de la production totale d’électricité, selon la Bundesnetzagentur (régulateur allemand). C’est encourageant ?

SR : L’Allemagne est ambitieuse sur les EnR électriques et cela fonctionne bien. Pourtant, il faudra encore accélérer si l’on veut atteindre les objectifs 2030. En revanche, un MWh injecté n’en vaut pas un autre. Un problème réside dans la concentration de parcs éoliens sur la ligne de côte qui est relativement courte.

L’essentiel de la consommation se trouve dans les grands pôles industriels situés dans le Sud du pays, à Munich, Stuttgart, Francfort. Donc, le chemin emprunté par l’électricité est très long et la construction du réseau, qui permet de consommer cette électricité renouvelable, pose un problème car ce qui est produit ne peut pas être entièrement intégré dans le système. Sans compter que cette électricité renouvelable est en grande partie volatile puisqu’elle dépend des éléments naturels (soleil et vent). Par exemple, s’il n’y pas de vent il n’y a pas de production et, à l’inverse, quand il y a beaucoup de vent, le réseau sature et ne peut pas tout intégrer. D’ailleurs, l’un des défis centraux, au-delà de la construction des centrales renouvelables, est la construction d’un réseau adéquat à cette production. Qu’il s’agisse de la puissance ou des variations de la production.

OE : 145 GW de puissance pour l’éolien, c’est l’un des objectifs allemands pour 2030. Là, est-ce un objectif « motivation » ou un objectif réel ?

SR : En Allemagne on ne travaille pas avec des objectifs pour encourager, on travaille sur des objectifs durs qui, généralement, sont atteints. Bien que ce nombre paraisse ambitieux aujourd’hui, je suis sûr qu’il sera atteint au plus tard en 2032. Le gouvernement fédéral a réalisé, l’année passée, un travail très important pour accélérer le processus et créer les zones où ces projets peuvent être construits. Il y a un allègement considérable au niveau des régimes d’autorisation ce qui aura un impact sur les délais des procédures ; il y a une prime pour les riverains, déjà utilisée dans certaines régions ; les communes reçoivent des subventions. Tous ces facteurs lancent la dynamique pour atteindre ces 145 GW.

OE : Contrairement à l’électricité ou la chaleur, la part des énergies renouvelables dans les transports allemands est très faible. Comment expliquez-vous cette disparité ?

SR : Cette situation est universelle. En Europe, 1990 est l’année de référence pour les émissions de CO2, et le secteur des transports est le seul à avoir augmenté ses émissions. Cela est dû au fait qu’il y a plus de moyens de transports. Mais, la question est plus complexe que ça. La décarbonation de la mobilité est le plus grand défi devant nous et pour l’instant il n’y a pas d’alternative à l’électricité. Il ne paraît pas réaliste d’envisager que toutes les voitures tournent aux biocarburants. Or, on a déjà besoin d’électricité pour le système électrique.

Sur le plan sociétal, la voiture prend beaucoup de place dans la vie des gens. C’est un sujet qui génère beaucoup d’émotions et quand on propose de prendre une voiture plus petite, c’est vite considéré comme une relégation sociale. Donc, le régulateur doit penser également à la dimension sociétale car ce qui relève du bon sens sur le plan économique et technique ne l’est pas forcément sur le plan émotionnel.

OE : Au-delà de la part émotionnelle, la voiture est souvent un outil indispensable, notamment pour les personnes habitants hors des agglomérations et travaillant dans les villes.

SR : Moi, je viens de la campagne. La mobilité c’était la liberté. C’était le vecteur qui rendait tout le reste possible. Et avoir sa mobylette à 16 ans ça changeait la vie car les rayons d’action devenaient plus grands ; qu’il s’agisse des rencontres ou de la manière de consommer. C’est quelque chose qu’il ne faut jamais oublier. Une fois qu’on a évoqué cela, il faut aussi rappeler qu’en France 80% de la population habite dans les agglomérations. C’est donc une minorité qui occupe la majorité du territoire. Cette minorité a parfois l’impression qu’on ne s’intéresse pas à elle. Et elle ne se considère pas incluse dans la politique énergétique. C’est très facile de parler du concept de mobilité dans le contexte urbain. C’est beaucoup moins facile dans le contexte rural. Une augmentation de 5 centimes à la pompe n’a pas le même effet selon que l’on habite en ville ou que l’on effectue 1000 kilomètres en voiture par semaine pour se rendre sur et revenir de son lieu de travail. On ne peut pas appliquer les mêmes règles à tout le monde. Il faut se donner des règles qui permettent une certaine flexibilité pour une partie de la population et surtout, il faut leur expliquer pourquoi une mesure est prise et comment leurs besoins ont été pris en compte. Quand on parle de la réussite ou non de la transition énergétique, ne laisser personne de côté est plus important que les nouvelles technologies ou le financement. S’il n’y a pas de consensus dans la société, j’ai du mal à voir comment cela pourra aboutir.

OE : Si l’objectif allemand est de 30% d’EnR dans la production totale d’énergie, pour la fin de la décennie, l’Europe, elle, a fixé la barre à 42,5%. Les ambitions de l’UE sont-elles trop élevées ?

SR : Ici, on est typiquement dans un « objectif-motivation ». Techniquement, ce ne sera pas évident d’atteindre les 42,5% dans les délais impartis, quand on voit le temps que prend la construction d’un parc éolien, par exemple, avec les autorisations etc. On peut facilement calculer à quelle date il faudrait déposer les projets pour qu’ils soient connectés au réseau pour 2030. Or, les appels d’offres nécessaires ne sont pas encore prévus pour développer les volumes à temps pour atteindre les objectifs. Cela est valable pour l’Allemagne, la France et à peu près tout le monde.

On va avoir un besoin croissant d’hydrogène en France et en Allemagne si on veut maintenir la chimie, la métallurgie et le verre en Europe 

OE : Passons à l’hydrogène. Beaucoup d’espoir repose sur ce gaz dans les projets de décarbonation. Peut-il vraiment changer la donne ?

SR : L’hydrogène fait couler beaucoup d’encre, car c’est une technologie qui permettrait d’éviter actuellement 3% des émissions de GES en France et en Allemagne. L’hydrogène, on l’utilise pour la décarbonation de l’industrie, dans l’acier ou l’industrie chimique, dans les transports (y compris l’aérien) ; pour stocker de l’électricité, pour le chauffage etc.

OE : Dites-nous en plus sur l’exploitation de l’hydrogène dans l’industrie.

SR : Il y a un besoin dans l’industrie chimique, avant tout. Pour tout ce qui est chimie organique, vous avez besoin d’hydrogène généré par un processus appelé le « vapo-reformage » qui consiste en la destruction des molécules de méthane pour avoir l’hydrogène d’un côté et le CO2 de l’autre. C’est un procédé qui fait d’une molécule noble, deux molécules moins nobles, donc nuisibles pour le climat. Il faudrait commencer par remplacer cet hydrogène utilisé dans ces processus chimiques.

Ensuite on utilise l’hydrogène dans la raffinerie mais la raffinerie va devenir moins importante avec la fin du moteur thermique.

Si l’on souhaite décarboner la production d’acier, très émettrice en CO2, (avec l’utilisation du charbon) on peut utiliser de l’hydrogène. On a l’exemple de la première usine d’Arcelor Mittal transformée à Hambourg, avec cet objectif. Donc on va avoir un besoin croissant d’hydrogène en France et en Allemagne si l’on veut maintenir ces industries fondamentales : chimie, métallurgie, verre en Europe.

Ensuite l’hydrogène est utilisé dans la mobilité. Il faut faire quelque chose pour décarboner la mobilité lourde. Si on a assez d’hydrogène, on peut faire du transport routier à base d’hydrogène, le transport aérien à base de carburants synthétiques etc. L’exploitation d’hydrogène permet de créer une nouvelle chaine de valeurs (développement et commercialisation de nouvelles technologies) si on l’a dans des quantités suffisantes. Cela dit, nous sommes, pour l’heure, dans le royaume du « nice to have » où ce n’est pas une priorité, bien plus que dans celui du « no regret » où on n’aurait plus le choix.

OE : Y a-t-il des stratégies de production d’hydrogène, établies par l’Union européenne ?

SR : Il y a deux écoles à ce sujet : Celle de la France qui dit « on va plutôt faire ça en France » en regardant si l’on a assez d’électricité car ça consomme énormément d’électricité… et d’eau aussi d’ailleurs ! Pour 1 tonne d’hydrogène vous avez besoin de 10 tonnes d’eau. Or, on a besoin d’eau pour les centrales aussi. Il faudra voir où l’on peut trouver plus eau. Et puis, il y a la stratégie d’autres pays qui choisissent l’importation d’hydrogène produite à bas coûts au Maroc, au Chili, en Namibie, dans le Golfe, et acheminé ensuite en Europe par tanker sous forme d’ammoniac. Mais, si on suit cette stratégie, on entre dans une nouvelle dépendance.

*Depuis l’entretien, les résultats 2023 ont été révélés et la part d’EnR dans la production d’électricité est passée à 55%

Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie

Giovanni Djossou, journaliste spécialisé
Giovanni Djossou
Journaliste spécialisé

Titulaire d’un Master II en journalisme, Giovanni DJOSSOU a œuvré en tant que journaliste pigiste, en presse écrite, auprès de différents journaux et magazines.
Intéressé par les questions liées à l’énergie, il a la charge de la rédaction d’articles et de brèves pour Opéra Energie.