L’hydrogène se fait attendre
Coûts de production, concurrence mondiale, demande impréparée, les obstacles au développement de l’hydrogène décarboné sont nombreux alors que le gaz est indispensable à la transition énergétique.
Un prix de l’électricité à 40€/MWh pour la filière ?
Depuis plusieurs années, l’hydrogène décarboné est présenté comme l’une des armes principales de la transition énergétique. Il a un grand rôle à jouer dans la compétitivité et les performances techniques des entreprises, dans la réduction des émissions dans l’industrie et même dans l’aménagement du territoire. Pourtant, ce gaz tarde à s’imposer, la faute à de multiples facteurs.
Produire de l’hydrogène a un coût non-négligeable. Or, la combinaison de la hausse des taux d’intérêts et de l’inflation ne fait qu’aggraver les choses en provoquant notamment des difficultés sur la chaîne logistique. Aussi, le coût de l’électricité qui représente 75% du prix total de l’hydrogène vert demeure une inconnue de plus. Pour Philippe Boucly, président de France hydrogène, la filière devrait avoir accès à une électricité autour de 40€/MWh, soit bien en-dessous des prix visés par EDF. A l’heure où il faudrait mettre un coup d’accélérateur sur le développement de l’hydrogène, les coûts élevés conduisent à une remise en cause de certains projets.
Le projet HyDeal España
Le plus grand complexe de production d’hydrogène renouvelable au monde, avec ses 7,4 GW alimentés par des capacités solaires de 9,5 GW et dont la production devait démarrer en 2025 a subi un gros coup d’arrêt après l’effondrement du consortium qui assurait son développement.
ArcelorMittal Europe
Le groupe sidérurgique vient d’annoncer ne pas pouvoir produire d’acier sur le vieux continent avec de l’hydrogène vert. ArcelorMittal, qui a reçu 2,15 milliards d’euros de subventions (1,3 milliards de l’Allemagne et 850 millions de la France) pour décarboner ses sites, privilégie le gaz fossile et l’hydrogène vert en provenance de Chine et des Etats-Unis. « Au-delà de la question des subventions, cela pointe un débat juste. En poussant pour le développement des importations d’hydrogène, l’Union européenne, en particulier l’Allemagne et les Pays-Bas, va avoir du mal à trouver un équilibre empêchant les industriels européens de partir là où l’hydrogène sera produit », prévient Mikaa Blugeon-Mered, chargé d’enseignement marchés, diplomatie et géopolitique de l’hydrogène à Sciences Po.
La concurrence est féroce concernant l’hydrogène. Compte tenu de leur ensoleillement et de leurs vents, de nombreux pays en phase de développement (Maroc, Mauritanie, Namibie) s’engagent dans la production d’hydrogène vert afin de déployer leur industrie. Leur stratégie : assurer un transfert de compétences et ne pas être un simple producteur pour l’Europe. Ils cherchent à attirer des producteurs de verre ou d’acier ainsi que des chimistes. Or, la fin progressive des quotas carbone gratuits pourrait favoriser cette stratégie, incitant les industriels européens à se délocaliser.
Priorité donnée aux marchés matures
Plusieurs grands projets continuent d’avancer. C’est le cas, par exemple, de celui de Verso Energy, GRTGaz et RTE à Carling, en Moselle, dont la décision finale d’investissement est toujours attendue mi-2025, pour une mise en service fin 2027. Ou celui d’Air Liquide, Normand’Hy, qui pourrait être le plus gros électrolyseur (200 MW) en Europe lors de sa mise en service, attendue pour 2026.
Le gigantesque appel d’offres de TotalEnergies pour l’achat de 500.000 tonnes d’hydrogène vert par an pourrait aussi faire bouger les lignes. « On a enfin un acheteur sérieux, qui connaît le sujet et ne dépend pas de subventions publiques, qui cherche d’abord à décarboner ses activités. Il n’y a pas de raison qu’en cas de succès, BP ou Shell ne fassent pas pareil », opine Mikaa Blugeon-Mered.
Le secteur pourrait enfin évoluer selon la demande et aller en priorité vers des marchés plus matures. « La demande pourrait être tirée par les carburants de synthèse, car une réglementation est déjà en place, qui oblige les compagnies aériennes à intégrer des biocarburants et des carburants de synthèse », affirme ainsi Antoine Huard, directeur général de Verso Energy. Pour son deuxième grand projet, la société française a choisi de produire des carburants de synthèse à partir d’hydrogène vert et de CO2 biogénique, à Rouen. Mais, là encore, l’horizon de temps est long : la mise en service n’est pas prévue avant 2029, au mieux.