« On prévoit 7 millions de bornes de recharge en 2035, en France »
Dans le processus de transition énergétique en Europe, l’électrification de l’économie constitue une étape cruciale. Cette évolution n’est pas sans obstacle. Mladena Pavlova Joveski, consultante énergie à LCP Delta, après un long passage à la CRE, nous éclaire sur la question. Dans ce premier volet, elle traite de l’électrification dans les transports.
[A venir : 2e partie sur l’électrification du bâtiment – focus pompes à chaleur ; 3e partie : le photovoltaïque en Europe]
Opéra Energie : Présentez-nous, en quelques mots, votre parcours.
Mladena Pavlova Joveski : J’ai passé presque 14 ans à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) où j’ai travaillé sur la surveillance du marché de détail en France et en Europe. Puis, il y a un an et demi, j’ai rejoint LCP Delta. Nous sommes un cabinet de conseil et de recherche à dimension internationale, spécialisé dans la transition énergétique. Je suis responsable conseil pour la France, dans notre bureau à Paris. Nous sommes spécialisés dans la transition énergétique – élément qui m’a incitée à changer de voie car je souhaite, à travers mes travaux, jouer un rôle pour accélérer cette transition. Notre valeur ajoutée réside dans notre expertise unique à la fois en recherche et en conseil, grâce à la réalisation d’études approfondies et à une vision globale du marché pour soutenir nos clients dans leurs décisions. Nous nous appuyons sur des analyses solides et des prévisions détaillées concernant les nouvelles technologies liées à la transition énergétique : véhicules électriques, pompes à chaleur, maisons connectées, photovoltaïque, batteries, chauffage.
OE : Pourquoi l’électrification et depuis quand ?
MPJ : L’électrification est au cœur de la transition énergétique, car elle permet de réduire la dépendance aux combustibles fossiles en favorisant des sources d’énergies renouvelables et plus propres. L’électrification ne date pas d’hier, bien sûr. Il y a eu d’abord une prise de conscience environnementale puis, vers les années 2010-2020, une accélération de l’électrification avec des politiques publiques et des innovations technologiques. L’Europe a pour ambition d’être le premier continent neutre en carbone. Le Pacte Vert pour l’Europe planifie cette neutralité pour 2050, pendant que le FitFor55 prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990.
OE : Penchons-nous sur le processus d’électrification, secteur par secteur. Commençons par les transports.
MPJ : Les transports sont une composante clé de la transition énergétique. Focalisons-nous, ici, sur les véhicules électriques : voitures, bus, camions. Le développement de l’électrification dans ce secteur passe par l’amélioration des batteries ainsi que le développement des infrastructures de recharge. Aujourd’hui, en France, il y a un peu plus de 2 millions de véhicules électriques sur les routes. Et selon nos prévisions, il y en aura 17 millions en 2035.
OE : C’est une forte croissance. Les infrastructures de recharge peuvent-elles suivre ce rythme ?
MPJ : On prévoit 7 millions de bornes de recharge en 2035, ce qui constitue un bon ratio avec le nombre de véhicules. Cela étant dit, il y a toujours des craintes des consommateurs vis-à-vis des véhicules électriques : le nombre de bornes est une préoccupation, car la perception est qu’il n’y en a pas assez, même si en France, les infrastructures sont développées avec 900 000 bornes disponibles sur tout le territoire, actuellement*. La seule difficulté possible c’est l’inégalité territoriale. Il se peut qu’on trouve plus d’installations dans les grandes villes et proche des autoroutes qu’ailleurs. Mais avant tout cela, la question du prix reste primordiale.
*chiffre incluant les bornes de recharge publiques, le bornes en entreprises, les bornes dans le résidentiel.
OE : Justement, comment se porte le marché des véhicules électriques en France ?
MPJ : Le marché est en baisse en 2024 mais elle est relative. Les deux années précédentes ont vu un boom de l’achat de véhicules électriques, donc cette année est davantage un ralentissement.
Le but de l’Union européenne est d’avoir 100% de véhicules électriques sur les routes d’ici 2035
OE : Au-delà des deux très bonnes années antérieures, y a-t-il d’autres facteurs expliquant ce ralentissement ?
MPJ : Le ralentissement en France a été influencé par des facteurs comme la réduction des subventions et les préoccupations liées aux coûts, notamment le prix d’achat. Au niveau européen, on note une baisse globale, principalement en raison du ralentissement assez fort de ce marché en Allemagne. Outre-Rhin, cette baisse était liée à la fois aux prix élevés de l’électricité et à la baisse des subventions gouvernementales. En 2025, on s’attend à ce que le marché reparte à la hausse avec le lancement de modèles moins chers. Mais, depuis le 1er novembre, une surtaxe de 35,3% sur les véhicules électriques venus de Chine a été appliquée par l’Union Européenne [contre 10% auparavant].
OE : C’est paradoxal avec le lancement de véhicules moins chers.
MPJ : Oui. C’est un élément qui nous pousse à revoir nos prévisions dans le domaine, car c’est la présence des véhicules chinois sur le marché européen qui incitait à baisser les prix.
OE : Quel est l’objectif à moyen terme, concernant les véhicules électriques ?
MPJ : Le but de l’Union européenne est d’avoir 100% de véhicules électriques sur les routes d’ici 2035, ce qui nous parait très incertain. Les subventions gouvernementales sont en baisse or, les aides sont le premier facteur incitatif à l’achat de véhicules électriques. Sans les aides, les ventes chutent automatiquement. Par exemple, le gouvernement français compte diminuer les subventions sous le prétexte que les véhicules sont moins chers et que les gens les adoptent davantage. Donc, est-ce que la Commission européenne va revoir ses objectifs ? Est-ce que les objectifs actuels sont réalisables ? Nous nous posons la question.
Propos recueillis par Giovanni DJOSSOU pour Opéra Energie
A venir : 2e partie, électrification du bâtiment – focus pompes à chaleur