Projet Hercule et renationalisation d’EDF
EDF fournisseur historique d’électricité a travaillé sur un projet de réorganisation entre 2018 et 2021, à la demande des pouvoirs publics. Projet de restructuration désormais oublié, le plan Hercule d’EDF prévoyait la réorganisation de l’énergéticien. Cette réforme devait lui permettre de recouvrer les financements nécessaires à un investissement dans les énergies renouvelables et à la rénovation de son parc nucléaire. Aujourd’hui, ce plan a été abandonné au profit d’une renationalisation. Que contenait le projet Hercule ? Pourquoi était-il contesté par les syndicats ? Quels sont les enjeux de la nationalisation d’EDF ?
Comment s’organise le capital d’EDF ?
Pour bien comprendre les enjeux de la restructuration d’EDF, il convient de regarder comment se structure le capital de l’entreprise. A l’heure actuelle, le capital est détenu :
- L’État à 83,76 % ;
- Les actionnaires externes à 15,12 % ;
- L’actionnariat salarié à 1,08 % ;
- Le groupe en propre à 0,04 %.
L’État est donc à l’heure actuelle, le principal actionnaire.
Aux origines du projet Hercule : la dette d’EDF
A l’origine, le projet Hercules vise à réorganiser le groupe pour assurer une meilleure gestion de la dette d’EDF. Pour rappel, l’endettement net du fournisseur EDF était de 41 milliards d’euros fin 2019 et devrait atteindre 60 milliards d’euros d’ici le 31 décembre 2022, d’après le Selon le Comité Social et Économique Central (CSEC) du groupe.
Pour trouver une solution à l’endettement, le plan Hercule prévoyait une scission des activités d’EDF en :
- Un EDF bleu, 100% national, comprenant les activités nucléaires et le transport d’électricité sur les lignes à haute tension (RTE) ;
- Un EDF vert, au capital ouvert en bourse centré sur l’énergie solaire et l’éolien, contenant notamment EDF ENR.
Au fil des discussions au lieu de scinder le groupe en deux, le projet avait été repris et engageait la création d’une troisième entité :
- Un EDF azur, pour gérer le parc de centrales hydroélectriques. Cette activité aurait pu être complètement nationalisée ou ouverte au secteur privé. Il permettait de garder une « marge de manœuvre » pour les négociations avec les syndicats et Bruxelles.
Cette réorganisation aurait, en théorie, permis à l’électricien historique de faire face aux 15 milliards annuels nécessaires au maintien de son parc et de sa production.
De multiples retards
Le projet a essuyé les retards de calendriers. La première version aurait du être présentée à la fin de l’année 2019. « Nous ne pouvons que constater que le calendrier de la réforme de la régulation (du nucléaire) se décale, entraînant ainsi un décalage sur le calendrier du rapport que je dois rendre au gouvernement » aurait ainsi écrit le PDG Jean-Bernard Lévy à ses salariés dans un courrier auquel a eu accès l’AFP vendredi 4 octobre. « Aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies sur la régulation : la mise en place de la nouvelle Commission européenne, avec laquelle l’Etat doit mener des discussions, devrait permettre d’éclaircir la situation d’ici quelques mois » a précisé Lévy.
L’année 2020 marquée par le Covid-19 a ralenti la mise en place du projet et les négociations. En 2021, dans un contexte de reprise économique et avant les élections présidentielles, les discussions n’ont que peu avancé.
« A ce stade, les discussions n’ont pas abouti » avec Bruxelles et, faute d’un accord global, « il n’est pas envisageable d’avoir un projet de loi au Parlement dans l’immédiat », avait déclaré à l’AFP, le mercredi 28 juillet 2021, une source gouvernementale.« Nous regrettons que cette réforme, qui est indispensable pour EDF, ne puisse se conclure maintenant », avait commenté le PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy, le jeudi 29 juillet 2022, en présentant ses résultats pour le premier semestre.
Hercule : un projet polémique
Projet « Hercule » : un nom plutôt bien trouvé pour un projet aussi sensible que celui de la réorganisation d’EDF. Le plan était porté par la direction mais n’a pas du trouver d’écho en interne. Dès l’annonce du projet Hercule, les syndicats d’EDF s’y sont opposés. Pour eux, la séparation d’EDF revient à démanteler le groupe. Pour les représentants syndicaux, ce projet aurait conduit à « une socialisation des pertes et une privatisation des profits ». Le sujet a d’ailleurs suscité un grand nombre de grèves et revendications portées par l’intersyndicale d’EDF (FO, CGT, etc.).
Un projet porté par Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF
Entendu devant la Commission des affaires économiques du Sénat, début 2021, Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, est monté au créneau pour défendre le projet « Hercule ». Pour le président du groupe, seul Hercule pouvait permettre à EDF de recouvrer sa place d’énergéticien leader. Il jugeait en effet « nécessaire » la réorganisation de l’électricien, tout en assurant qu’EDF devait rester « un groupe public intégré ».
« Cette réforme Hercule est nécessaire parce que notre développement, notre croissance, nos investissements sont gravement entravés par le niveau de la dette que nous avons accumulée depuis des années, du fait de la régulation que nous appelons l’Arenh » expliquait-il.
« Sans réforme, nous sommes menacés de devenir un énergéticien de seconde zone. Nous avons été dégradés cinq fois par les agences de notation ces dernières années » alertait-il, pointant l’urgence de choisir entre « garder le statu quo et continuer à vendre les joyaux de la couronne » ou donner le go à Hercule, « un projet de développement » et « la meilleure des solutions qu’on ait trouvée pour respecter les contraintes européennes ».
Une réforme soutenue à l’époque par le gouvernement
A la même époque, Barbara Pompili, alors Ministre de la Transition Ecologique, avait-elle aussi défendu la nécessité d’une réorganisation. « Partout en Europe les concurrents d’EDF montent en puissance sur les EnR, sur l’hydrogène vert, l’efficacité énergétique et le stockage. Je le dis tout net ce gouvernement refuse que la France et l’entreprise EDF soient reléguées au 2nd plan de cette bataille, faute d’avoir su adapter notre régulation aux évolutions des marchés de l’énergie » soulignait-elle.
Pour elle, l’objectif de ces négociations était de donner à EDF tous les moyens d’assumer son rôle dans la transition écologique du pays. Ce qui impliquait :
- d’assurer le financement du parc nucléaire existant,
- de réformer les conditions de vente de sa production afin que l’électricien soit rémunéré à hauteur des coûts supportés, « quelle que soit l’évolution des prix sur les marchés », « une garantie très forte, inédite à cette échelle en Europe ». Cela aurait pu apporter à EDF les ressources financières suffisantes pour que le groupe puisse apurer ses dettes, du moins leur faire face.
Une demande de commission interne
Dès le début du projet les syndicats se sont opposés à l’opération Hercule. Parmi les grands mesures d’opposition, on ote que l’intersyndicale a mis en demeure le gouvernement et la direction d’EDF pour « retirer définitivement le projet d’ici le 10 octobre » 2019.
Sans résultats, les syndicats ont continué à mener des actions comme des mouvements sociaux. Le lundi 1er mars 2021, quatre fédérations syndicales ont demandé par courrier à Emmanuel Macron de créer une commission sur l’avenir du fournisseur historique d’électricité. « L’intersyndicale demande la création d’une commission chargée d’établir le diagnostic de la situation d’EDF, de faire le bilan de 20 ans de dérégulation du marché de l’électricité et de proposer des pistes pour bâtir l’avenir d’EDF » ont déclaré ainsi la CGT, CFE-CGC, CFDT et FO dans un communiqué commun. Les syndicats énergie souhaitent en effet mettre à l’étude des « solutions alternatives » au projet HERCULE qui est toujours loin de faire consensus parmi les salariés.
Un refus du projet de scission en trois activités
Les évolutions d’Hercule au fil du temps n’ont pas convaincu les syndicats. « Davantage soudées » après les diverses rencontres avec le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance et avec le Président d’EDF, les fédérations syndicales dénoncaient « un éclatement du Groupe EDF en trois sociétés distinctes. »
« L’interfédérale ne se satisfait pas des éléments avancés jusqu’à présent par le Ministre Bruno LE MAIRE, elle attend donc du Gouvernement qu’il clarifie les nombreuses incertitudes liées à l’accord qu’il tente d’établir avec la Commission européenne. Cet accord a été maintes fois annoncé depuis fin 2020 sans jamais être concrètement mis sur la table. »
Un rejet déploré par Jean-Bernard Lévy, président d’EDF. « Ce projet peut bien entendu être rejeté en bloc. Mais y renoncer nous exposerait collectivement à poursuivre dans la situation que nous connaissons depuis 10 ans et dont le groupe souffre profondément », estimait à l’époque Jean-Bernard Lévy. Si rien ne change, le groupe se retrouverait privé de nouveaux moyens financiers « sans lesquels sa part dans la production d’électricité en France baisserait rapidement » avait-il fait valoir.
Un projet soutenu par la CRE
Pour Jean-François Carenco, ancien président de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le Hercule est « nécessaire » pour l’avenir du système énergétique français.
Auditionné par la Commission des affaires économiques le 3 mars 2021, le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) s’est clairement prononcé en faveur du projet de restructuration d’EDF et ce du point de vue « de la défense du consommateur, résidentiel comme industriel ».
Pour lui, « Hercule répond aux projets du nouveau système énergétique français ». Un « EDF nucléaire » appartenant à 100 % à l’Etat lui semble « logique ». Un « EDF azur » permettrait de résoudre la problématique des concessions hydroélectriques, « un conflit qui fragilise la situation de la France en Europe ».
Enfin un « EDF vert » ouvert aux investisseurs, à hauteur d’un maximum de 33 % préconisait-il, aurait permis d’élargir les leviers d’investissement de la transition énergétique.
« La situation actuelle d’EDF ne lui permet pas d’investir correctement ni dans le nucléaire ni dans les énergies renouvelables ». D’après l’ancien président de la CRE, « EDF peine à se constituer une base d’actifs dans les EnR », en France particulièrement, réalisant en effet « 95 % de ses investissements dans les réseaux et les centrales nucléaires », alors que le Grand Carénage est en cours (estimé à 49,4 milliards d’euros courants par EDF). A titre de comparaison, Carenco invitait à regarder chez nos voisins espagnols où Enel comme Iberdrola ont consacré 40 % de leurs investissements aux EnR en 2019.
Des négociations non abouties avec la Commission européenne
Le projet Hercule était soumis à la vigilance des institutions européennes et a occasionné quelques éléments de négociations avec Bruxelles.
Une séparation stricte
Un point d’achoppement majeur demeurait : un Grand EDF ne satisfaisait manifestement pas Bruxelles. Pour la Commission européenne, si EDF restait un groupe intégré, les entités non régulées ne devraient pas bénéficier d’avantages liés à l’entité régulée. Bruxelles exigeait ainsi « des murailles de Chine » entre les différentes activités, afin d’empêcher toute subvention croisée. Or, Paris souhaitait que EDF conserve une stratégie unique et que les entités puissent bénéficier de flux financiers entre elles.
Publiée en octobre 2020, une note de l’Agence des Participations de l’Etat (APE) indiquait que « l’option privilégiée » par la Direction générale de la concurrence de l’Union européenne allait plus loin que ce que le gouvernement français avait évoqué avec le projet HERCULE. Selon l’APE, Bruxelles était en faveur de la création « une société holding EDF sans rôle opérationnel, n’exerçant ni contrôle ni influence sur ses filiales et ne percevant pas de dividendes, ceux-ci étant directement versés aux actionnaires de la holding ».
ARENH : un prix augmenté et un accès réservé aux seuls particuliers ?
Autre noeud de tension, la révision à la hausse du prix de vente de l’électricité d’origine nucléaire aux fournisseurs alternatifs, plafonné depuis dix ans à 42 euros/ MWh.
La réforme d’EDF devait aussi permettre au groupe de remporter l’aval de la Commission européenne quant à une augmentation du prix de l’ARENH (Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique). A priori, un terrain d’entente aurait été trouvé à 49 €/MWh, contre 42 € aujourd’hui. Quand les prix de marché auraient plus élevés, la différence aurait été versée dans un « compte d’écart ». Cette réserve aurait pu être utilisée lorsque les prix étaient inférieurs à 49 € /MWh. Et, surtout, EDF Bleu aurait pu avoir la possibilité d’utiliser l’argent du nucléaire pour financer EDF vert.
D’autres évolutions du dispositif ARENH ont été mis à l’étude. Comme le soulignait le président du CLEEE, Frank Roubanovitch, « la Commission européenne considère que la régulation du nucléaire doit être accessible uniquement aux consommateurs bénéficiaires des tarifs réglementés de vente d’électricité, ce qui exclut les secteurs industriels, tertiaires et publics. » Il calculait que « le prix de la fourniture augmenterait de 30% ».
Des mesures de compensation auraient pu voir le jour. On évoquait la création d’une CSPE flottante, en fonction du prix du marché, pour les acteurs du secteur tertiaire. Mais cette option ne semblait pas convenir aux industriels, qui bénéficient déjà pour la plupart d’un taux réduit de CSPE (Contribution au Service Public de l’Energie).
D’aucuns proposaient de booster le recours des industriels aux Power Purchase Agreement (PPA ENR). Une solution peu viable aux yeux du CLEEE, qui estime que « les PPA, de par l’intermittence de la production d’énergie, ne sont pas une protection contre les aléas du marché ».
Du projet Hercule à la renationalisation d’EDF
En mars 2021, l’Etat français fait entendre sa volonté de porter le projet auprès de l’Union européenne. Selon une dépêche Reuters, parue hier 17 mars 2021 en fin de journée « Le gouvernement français souhaite un examen d’ici l’automne par le Parlement d’un éventuel projet de loi sur une réforme d’EDF en vue d’une mise en œuvre avant l’élection présidentielle de 2022 ».
Quelques semaines après le discours évolue. « Oublions Hercule et construisons ensemble le grand EDF. Voilà le message que je porte aux organisations syndicales que je reçois depuis le début de la semaine. Ce projet ambitieux tiendra compte de leurs propositions. » expliquait Bruno Le Maire, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en avril 2021. Le projet est donc abandonné.
Un an plus tard, à l’occasion de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le 6 juillet 2022, Élisabeth Borne, la Première Ministre, a annoncé la renationalisation d’EDF.
Un revirement lié au contexte économique
La stratégie de renationalisation d’EDF intervient dans un contexte où les marchés de l’énergie sont très perturbés. L’objectif de l’opération ? Rendre la France plus indépendante en énergie. « Pourquoi nous le faisons ? Tout simplement parce que l’indépendance énergétique n’a pas de prix et que la guerre en Ukraine nous a tous montré que dépendre du gaz et du pétrole russe est la pire des idées que l’on puisse avoir » affirmait Bruno Le Maire.
Quel est le prix de la nationalisation d’EDF ?
«Ce n’est pas une nationalisation, mais une montée au capital, où l’État passe de 84 % à 100 %.» a fait Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique. Au total, le rachat d’EDF devrait coûter à l’État. Pour ce faire, il se base sur le principe de l’offre publique d’achat (OPA), afin d’inciter les actionnaires à vendre. Le 4 octobre 2022, l’Etat a déposé son projet d’OPA auprès de l’AMF. Ce dépôt consitue la première étape de retrait d’EDF en bourse.
En effet, une nationalisation par la voie légale aurait imposé un passage par l’Assemblée nationale, où la République en Marche n’a plus qu’une majorité relative.
Qu’en pensent les syndicats ?
Les syndicats d’EDF restent méfiants. « Soit cette recapitalisation est un premier pas vers le retour à un service public. Soit, elle vise à mieux nous dépecer » craignait Maud Mathieu, employé d’EDF et membre de la CGT.